« C’est de la lumière et de l’ombre que le sculpteur comme l’architecte pétrit et modèle… (Rodin) »

Antoinette Le Normand-Romain, conservateur honoraire du patrimoine, ancienne conservatrice du musée Rodin et ancienne directrice de l’INHA, a été l’invitée des conférences Arts et cloître. Elle a donné une visioconférence passionnante par Zoom sur le thème de la sculpture et de la lumière. 

« Je ne vais pas parler de la représentation de la lumière en sculpture ni des femmes portent-torchères. Il est vrai qu’avant l’électricité, le monde était sombre », introduit Antoinette Le Normand -Romain. « La sculpture qui est un objet en trois dimensions n’existe pas sans une source lumineuse conçue comme un projecteur. Les sculpteurs en étaient bien conscients et ont toujours su en tirer parti, à la fois pour mettre en valeur leur travail (magnifier ou aplatir) mais aussi pour renforcer l’expression », indique la conférencière.

Ainsi, en est-il des antiques redécouverts à la lueur de la torche dans les peintures d’Hubert Robert par exemple ou de la découverte d’un squelette dans les ruines de Pompéi. « La lumière est alors jaillissante. Elle devient de plus en plus ciblée et plus précise, ainsi en est-il des tableaux de Wright of Derby qui permettent d’illuminer les visages pour rendre le modelé ».

La conférencière rappelle la visite de Napoléon et de Marie-Louise au Louvre de nuit à travers le tableau peint par Benjamin Zix qui donne comme un coup de projecteur sur le célèbre Laocoon. A côté de cela, on peut mentionner les essais de Tischbein, avec La grande Ombre en 1805(crayon, plume, aquarelle). En parallèle du travail sur la lumière, se développe tout un travail sur l’ombre (cf Barry Flanagan).

Ainsi, rappelle-t-elle, le dessin de Suvée, l’invention du dessin, qui donnera lieu à la réalisation d’un plâtre ou encore les hauts- reliefs à Karnak avec ces scènes de combat de Thoutmosis III en pleine lumière. Ou à St Louis des français, la vocation de St Mathieu du Caravage ou bien encore l’extase de Ste Thérèse par le Bernin à Ste Marie de la Victoire où les compositions sont très scénographiées et théâtralisées, en amenant une source lumineuse par le biais d’un lanternon, d’un vitrail et de cierges. « C’est le cas aussi de la statue de Pigalle à St Sulpice, réalisée par Charles de Wailly et éclairée par le lanternon qui nous introduit dans un autre univers, celui de la grâce. »

Le Persée de Canova (au Met à New-York) éclairé de l’intérieur de la tête comme une sorte de « happening » a été voulu par le commanditaire. Orphée et Eurydice de Rodin montre également cette volonté d’étudier les volumes et le modelé par l’usage de la lumière chez les sculpteurs. Ainsi en est-il de la pratique de David d’Angers (1815- 1850). Mais, dans le même temps, L’âge d’airain de Rodin fait scandale à l’époque. « On accuse le sculpteur d’avoir moulé sur nature car le résultat est tellement vivant, sensible et même frémissant. Sa statue de Balzac fait aussi scandale car il représente l’écrivain comme une masse informe sans mains. La sculpture est refusée par la Société des gens de lettres. »

Steichen l’a photographié de nuit à Meudon. Druet réalise aussi d’étranges photos du baiser de Rodin. Daniel Chester French réalise deux essais d’éclairages avec un portrait d’Abraham Lincoln, le résultat est saisissant avec deux rendus   différents. La lumière fait sentir le relief sur une sculpture comme pour le torse de Praxitèle ou une torsion d’Arp. Maillol s’y intéresse en homme du Sud tandis que Rodin, parisien, va davantage utiliser l’ombre.  La lumière est là pour modeler (porte de l’enfer) et simplifier la composition. Mais, pour Léonard, la sculpture sera toujours inférieure à la peinture car cette dernière bénéficie de la couleur et crée un contexte. « En quelque sorte, donc, la lumière crée la sculpture et les peintres, dans un esprit de compétition, n’ont pas hésité à pratiquer le trompe l’œil pour bénéficier des mêmes avantages, » fait remarquer la conférencière.

L.L

Rodin, Porte de l'Enfer, Zurich ©Antoinette Lenormand-Romain

Rodin, Porte de l’Enfer, Zurich © Antoinette Lenormand-Romain

Maillol, Méditerranée, Perpignan © Antoinette Lenormand-Romain