Le jardin des ambitions

Durant deux cents ans, le jardin tient une place particulière chez les puissants d’Italie. Miroir de leurs ambitions, il est le théâtre de toutes les audaces.

Sculpture du parc  de Bomarzo (Viterbo)

 

Dès les premières minutes, Laurence Levard annonçait devant un parterre comble d’auditeurs, la poursuite de l’extraordinaire aventure. Depuis le début du cycle de conférences proposé dans le cadre de l’association Arts & Cloître dans les murs de la Chartreuse de Molsheim, chaque rencontre fait découvrir une dimension spirituelle du jardin. « C’est un voyage dans différents pays et aussi un voyage intérieur », énonçait-elle. Ainsi Florian Métral, docteur en histoire de l’art et professeur à l’Institut catholique de Paris s’est révélé être un éminent conférencier. En spécialiste de la Renaissance, il a guidé l’assistance avec finesse à travers les méandres du temps et de l’esprit. « Les jardins présentent un parcours débutant en Italie et s’étalant du XVè jusqu’à la fin XVIè siècle », explique l’expert de la période de la Renaissance. Mais avant de plonger dans l’univers paysager, le professeur revient sur l’essence : « Dans la tradition littéraire, la nature est le lieu idyllique des dieux, comme le traite Nicolas Poussin dans ses représentations du Mythe de l’Arcadie », rappelle Florian Métral. Dans cet esprit, le jardin se présente comme un refuge pour l’homme, un petit coin de paradis. « Ce récit de l’Eden est transposé dans la peinture. C’est l’Hortus Conclusus, le jardin clos qui invite à la méditation », poursuit le conférencier. Mais au cours de la Renaissance, le jardin revêt une autre fonction. « Il est le reflet de ses possessions et de son ambition », révèle le docteur en histoire de l’Art.

« Ces réalisations signent de véritables prouesses techniques »

Ainsi comme dans les Villas de la puissante famille Medicis, le jardin est un monde en miniature. « Précisément, c’est en 1430 que tout débute », souligne-t-il. Une véritable grammaire symbolique va jaillir puisant à la source des références de l’Antiquité. Étrusques, grecques, romaines, toutes les cultures sont convoquées pour servir les desseins des grandes familles italiennes. « Ces réalisations signent de véritables prouesses techniques où d’importants travaux de terrassement sont nécessaires pour détourner une source voire installer une fontaine », précise Florian Métral. A l’instar des mises en scène imaginées dans les palais, les jardins sont aussi l’objet d’agencements scénographiques pour faire découvrir des perspectives insoupçonnées. « Une villa est composée d’un palais et d’un jardin. Il y a une articulation entre l’intérieur et extérieure », note le professeur d’histoire de l’art. C’est Laurent de Medicis ou Laurent le « Magnifique » qui utilise cette dialectique se parant des atours du maître de l’espace et du temps. « A partir d’une disposition géométrique, le jardin emprunte des expressions allégoriques des saisons », reprend le conférencier avec force et détails. Une période de construction qui trouva son apogée entre 1500 et 1560. « Période des Grands chantiers » précise-t-il. Installations hydrauliques, grottes artificielles, écrins d’œuvres architecturales, les jardins rivalisent de superlatifs. « contrairement aux jardins à la Française, la nature est aménagée et non domptée ». Dans les Jardins de Bomarzo, dominés par son château éponyme, des figures anthropomorphes, et monstrueuses semblent hanter les lieux comme un dernier éclat avant de sombrer dans l’oubli.

Pour en savoir plus : Figurer la création du monde de Florian Métral aux éditions Actes Sud

F.M.

Article paru dans les D.N.A. du 02/02/2020