Frère Pascal Pradié de l’abbaye St Wandrille était la personne idoine pour une conférence sur l’art des jardins de l’Antiquité au XIXe siècle. En effet, les monastères furent des conservatoires réputés de plantes et permirent ainsi leur sauvegarde face aux invasions successives.
On ne sait pas toujours que « les jardins ont servi de cadre aux mythes fondateurs », indique Pascal Pradié. « Les auteurs bibliques, après l’exil en particulier, connaissent parfaitement les mythes mésopotamiens et vont s’en servir pour écrire à leur tour, afin de rassembler la diaspora », souligne l’historienne Nicole Vray, auteur d’un livre sur Les Mythes fondateurs de Gilgamesh à Noé.
« La tradition chrétienne place alors le berceau de l’humanité dans un jardin, Eden. L’agonie et la résurrection du Christ apparaissant à Marie-Madeleine eurent lieu également dans un jardin. Ainsi, le jardin est un lieu de réconciliation entre l’amour de soi et l’amour de Dieu », introduit Pascal Pradié.
La civilisation égyptienne apprécie les jardins, ainsi celui de Nehamun à Thèbes en 1328 av JC. Géométrique sans perspective avec de hauts murs, il est vu d’en haut.
A Rome, la villa du sénateur Livia (55-29 av JC) comprend une fresque tout autour de la pièce avec un effet réel de perspective, une palissade au premier plan, 23 espèces végétales y sont répertoriées et 69 sortes d’oiseaux. Sorte de catalogue botanique, il donne l’impression au visiteur d’être immergé dans la nature.
« Mais à partir de Tertullien et de Clément d’Alexandrie, l’usage des fleurs a été interdit dans les représentations car jugé trop proche du paganisme ce qui va entraîner le déclin de la culture des jardins », ajoute le conférencier.
Les jardins du Moyen-Age sont peu connus avant le VIIe siècle. C’est le cas de celui de l’abbaye de St Gall (vers 820) qui comprend 89 espèces et fait figure de jardin idéal ainsi que celui de l’abbaye de Reichenau. « Le seul paysage représenté au Moyen-Age est le jardin car la mer est considérée comme le lieu de tous les dangers, la forêt comme celui des désordres et la montagne est prédestiné à l’aventure spirituelle mais durant peu de temps car on y respire mal », dit-il.
Peu à peu la prairie fleurie disparaît au profit d’un muret et d’une palissade
Le jardin est vu dans les livres de la Genèse et du Cantique des Cantiques comme une clôture. « Le paradis est la présence de Dieu. Ce paradis perdu, cet Eden, ce jardin de l’âme est souvent représenté avec une fontaine au centre et 4 fleuves qui en partent. Les animaux y vivent en harmonie avec l’homme », précise Pascal Pradié.
Au Moyen-Age, divers éléments se mettent en place dans le jardin clos : un plessis (clôture), un grenadier, symbole de vie et de fertilité de l’Eglise (pépins), un rosier (épines et couronnes d’épines.)
Ainsi La Vierge au buisson de roses de Schongauer présente la Vierge assise sur une banquette, entourée de fleurs symboliques Divers oiseaux s’y rencontrent dont le chardonneret (collerette rouge = rappel de ses tentatives d’enlever les épines du Christ).
Peu à peu la prairie fleurie disparaît au profit d’un muret et d’une palissade ainsi dans la Vierge à l’enfant avec Marie-Madeleine et une donatrice du Maître de la vue de Ste Gudule (1475-1480).
A l’époque humaniste, les jardins à l’italienne ont pour but de restaurer l’horticulture romaine ainsi que le montrent les tableaux en demi-cercle de Giusto Utens au musée historique de Florence.
A l’époque moderne, apparaît aussi le labyrinthe de verdure avec Salomon de Caus à Heidelberg. Vers 1550, des bulbes de tulipe sont importés d’Istanbul aux Pays-Bas. Ce goût est allé jusqu’à la tulipomanie vers 1635 qui provoqua alors l’effondrement et la ruine de certaines fortunes.
« La main de l’homme doit maîtriser la nature désordonnée »
La naissance du jardin à la française renforce la structure axiale et doit être vu depuis l’étage noble. André Lenôtre a été le grand manitou de ces jardins à St Cloud comme à Versailles. « La main de l’homme doit maîtriser la nature désordonnée et chaotique au départ. Le jardin doit servir d’écrin à la demeure mais se conçoit comme elle avec des pièces successives ».
Sa variante à l’anglaise, le grand rival, apparaît comme une critique systématique du jardin à la française dès 1677. Les premiers jésuites avaient ramené de Chine des modèles de jardins différents et le refus d’une tyrannie absolutiste fit le succès de ces jardins. Lancelot Brown, appelé « Capability Brown » a été un des artisans des grands parcs anglais au XVIIIe siècle. Voltaire réfugié en Angleterre s’est passionné pour celui-ci. Pour le marquis de Girardin, : « c’est en poète et en peintre qu’il faut composer des paysages. Le peintre/jardinier doit sublimer les accidents de la Nature. » Et la Nature à la Malmaison est de nouveau la maitresse des lieux indomptée, peu de temps après la révolution.
« A l’aube du XIXe siècle, tout est prêt pour accueillir et adopter le style anglais dans les parcs publics parisiens (Vincennes, Monceau, Montsouris…) A Giverny, Monet a déjà ouvert la voie, » conclut-il. Une conférence pleine d’humour et conduite avec brio qui a réjoui l’auditoire !
L.L.
Article paru dans les D.N.A. du 26/02/2020