C’est un morceau d’éternité de cinq mètres sur deux, traversé par une lumière cosmique. Le vitrail des Triomphes de Pétrarque transfigure une histoire qui contemple l’humanité depuis cinq siècles. Dans le cadre des conférences Arts & Cloître, l’historienne de l’art, Paule Amblard a partagé son analyse.
A mi-chemin entre les symboles du Moyen-Age et les mystères de la Renaissance, le Vitrail des Triomphes illumine le poème éponyme de l’italien François Petrarque. Dans le caveau de la Chartreuse de Molsheim, le temps s’est arrêté pour contempler et décrypter cette réalisation. En qualité d’historienne de l’art et spécialiste de l’art chrétien médiéval, Paule Amblard a étudié détails après détails, le cœur du vitrail perçant son sens et ses vérités cachés. Récemment, une conférence a été dédiée à ce chef-d’œuvre anonyme, joyau depuis 1502 de la commune d’Ervy le Chatel, dans l’Aube dans le cadre du cycle annuel organisé par l’association Arts & Cloître. « Ce vitrail a été commandé par Jehanne Le Clerc après le décès de son mari Pierre Girardin » explique Paule Amblard en liminaire. Les deux époux sont, ainsi, réunis pour l’éternité dans la lumière et les couleurs du vitrail.
Des victoires sur la bassesse humaine
Fabuleux travail d’interprétation, la grande baie de plus de 5 mètres de haut sur 2 mètres raconte en 14 fenêtres l’élévation de l’homme vers une vérité divine. « C’est pour cela que le sens de lecture se fait du bas vers le haut » précise la spécialiste. Six d’entre elles explorent un des Triomphes.
Triomphe ? Ce sont ces figures que Pétrarque dénomme ainsi, comme des victoires sur la bassesse humaine : l’Amour charnel, la Chasteté, la Mort, la Renommée, le Temps, l’Éternité. C’est dans le détail des symboles décryptés par Paule Amblard que la quête mystique devient une fable. « Tout commence par un enfant dont les yeux sont bandés car l’amour rend aveugle » note l’historienne de l’art. Puis s’attardant sur le deuxième Triomphe, l’analyse devient un défi à la parfaite connaissance de la culture chrétienne : « La chasteté apparaît avec une robe blanche, immaculée. Elle éteint le brasier du cœur, car il faut mettre de la raison dans la passion », analyse-t-elle. Dragon, éléphant, oiseau, lys, taupe, vautour, aigle, lévrier, le bestiaire présent dans le vitrail est impressionnant et révèle la richesse de ces fenêtres ouvertes sur une connaissance intrinsèque de l’homme. Dans un va-et-vient permanent entre la symbolique et sa signification, le vitrail devient un livre ouvert et une incroyable relecture des vers du poète du XIVe siècle. « Ce travail a nécessité une nouvelle traduction, car Pétrarque n’a pas été retraduit depuis le XVIe siècle », s’étonne Paule Amblard. Bien consciente qu’une éternité ne suffirait pas à épuiser l’interprétation insondable d’un tel joyau, l’assistance s’arrêta un moment encore sur le phylactère placé en haut du vitrail à côté de l’image du Père s’adressant aux hommes, celui-ci énonce : « Je vous dis que vous êtes des dieux ».
F.M.
Article paru dans les D.N.A. du 30/12/2018.