Une vision au-delà du visible

Moment hors du temps, la récente conférence organisée dans le caveau de la Chartreuse de Molsheim par l’association Arts & Cloître a interrogé la notion de Vision. Procédé pictural très usité au XVIe , il s’est dissous dans la culture et se retrouve dans le cinéma ou dans l’art contemporain.

 

Couverture du livre de Guillaume Cassegrain montrant un détail de l’extase de Sainte Cécile peint par Raphaël

 

Lorsque Guillaume Cassegrain, professeur d’histoire de l’Art à l’Université de Grenoble-Alpes, entre dans l’exploration d’une Vision, il fait fi des siècles. Dans l’obscurité du caveau de la Chartreuse de Molsheim, creuset d’une programmation de conférences ambitieuses autour du visible et de l’invisible, les contours se mettent en place pour cerner cette marque créative. La Vision est un dispositif pictural mettant en scène une notion spirituelle ou philosophique. Il apparaît au début du XVIe  siècle sous le pinceau de Michel Ange et permet une projection vers un ailleurs qu’il soit paradisiaque, onirique, futur ou antérieur. Nuages, halo de lumière signifiant la frontière entre l’une et l’autre dimension, ce procédé semble commun dans l’imaginaire de l’homo sapiens du XXIe  siècle. En fait, c’est parce qu’il est très largement intégré dans la culture contemporaine.

« Bien plus tard, il a compris aussi, qu’une image n’était pas la vérité

« Nous sommes dans une société adaptée à la vue. Elle est même sollicitée à l’excès », estime Guillaume Cassegrain. Écrans, affichages, tout concourt à cette valorisation voir fascination de l’activité du regard pour le plaisir du « paraître ». « Jusqu’à la réalité augmentée », souligne le professeur d’histoire de l’Art. A travers cet exemple, l’expert pointe toute la porosité volontaire et entretenue des espaces. « C’est au XIXe  siècle avec la photographie que techniquement l’homme s’est rendu compte que le champ du visible pouvait être extensible. Mais bien plus tard, il a compris aussi, qu’une image n’était pas la vérité », note Guillaume Cassegrain. Dès lors, grâce au pouvoir de « révélation » de la photographie, il semblait possible de voir l’invisible : de faire apparaître les os d’un squelette, de révéler la folie d’un homme ou la présence d’un fantôme. A ce jeu de dupe entre la vision et l’illusion, de nombreux cinéastes ont repoussé les limites de la perception.

Cet univers vaporeux où voir n’est pas regarder, prend sa source à la Renaissance. « A l’époque, le regard est valorisé car c’est une approche du savoir et de la culture », recentre Guillaume Cassegrain. Plus qu’une illustration, l’image est alors un moyen de persuasion et la Vision apparaît dans la construction des tableaux de l’époque. Elle joue tout son rôle mettant parfois le commanditaire en scène, elle représente l’accès à une connaissance jusque-là, invisible. « Cela permet d’organiser l’image en différents niveaux : terrestre, céleste et divin. Pour l’observateur, cela témoigne d’une élévation », résume l’universitaire. Au besoin, le dispositif est renforcé par une scénographie initiatique : structuration en triptyque, présentation de l’œuvre à des périodes saintes. « La peinture est sacralisée pour un moment précis à un moment donné », précise le professeur d’histoire de l’Art. Ainsi de Raphaël à Marcel Duchamp, les symboles illuminent la Vision traversant les siècles comme la promesse d’une vérité comprise et révélée. A l’issue de la conférence, l’assistance conquise est repartie avec la certitude d’une faille au-delà du visible.

F.M.

Article paru dans les D.N.A. du 25/12/2018

 

Vous pouvez écouter l’interview de Laurence Levard sur RCF en suivant le lien suivant:

https://rcf.fr/culture/13e-saison-d-arts-et-cloitre-du-visible-l-invisible