Le Conques de Soulages

Benoît Decron, directeur des musées du grand Rodez et conservateur du musée Soulages, inauguré en mai 2014, était l’invité d’Arts et cloître pour une conférence à la chartreuse sur les 104 vitraux de Conques, réalisés par le peintre Soulages de 1987 à 1994.

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Benoît Decron est venu à Rodez pour construire le musée Soulages avec des grands architectes, dont les catalans RCR arquitectes, associés au cabinet Passelac et Roques, au milieu du parc du Fourail, à quelques mètres du centre historique de la cité, sur quatre hectares.
Le musée repose sur un long socle de 120 mètres de long, duquel émergent cinq volumes d’acier rouge corrodé, dit acier corten. Le coût de construction du musée a été de 25 millions d’euros.

Plus de 205 000 visiteurs

L’accrochage des œuvres a été fait avec Pierre Soulages et sa femme Colette, auteurs de deux donations au musée Soulages, que le conservateur voit très régulièrement. Comme le dit le Benoît Decron : « On ne peut évoluer dans notre métier que si on apprend, et on apprend beaucoup aux contacts des autres ; la peinture est une mission. » Une salle de 500 m² est dédiée à des expositions temporaires d’artistes modernes et contemporains. Le musée inauguré le 30 mai 2014 a vu passer plus de 205 000 visiteurs, un pari réussi !
Soulages explique pourquoi il a accepté ce projet de musée. « Ce projet est lié à l’abbatiale de Conques, un lieu proche de Rodez, auquel je suis très attaché. Adolescent, j’ai tellement été bouleversé par la beauté de l’architecture de cette église que j’ai décidé de me consacrer à l’art. Lorsqu’on m’a demandé de réaliser ses vitraux, je n’ai pas hésité. Ce travail a occupé sept années de ma vie (entre 1987 et 1994). La proposition faite par Marc Censi (maire UMP de Rodez) de montrer les maquettes qui ont conduit à leur fabrication m’a enthousiasmé. »
Alors qu’en est-il de Conques ? Inaugurés en 1994, il y a plus de vingt ans, les vitraux ont permis la reconnaissance du village de Conques à l’extérieur grâce à l’œuvre de Soulages. Le conférencier en explique les circonstances et la réalisation. Soulages avait dit « non » à plusieurs endroits pour cette commande du ministère de la Culture. Enfin, on lui propose Conques où il y avait des vitraux de l’artiste Chigand de couleur rouge et bleu qu’il a fallu faire enlever.

Avec un gaffeur

« L’idée d’inventer son verre est très importante pour Soulages. Plus de 800 variétés se trouvent au musée, la surface de ses verres est plus ou moins homogène selon qu’il utilise des plaques avec des petits grains ou des gros grains. Il réalise d’abord des cartons de ses futurs vitraux sur des mélaminés blancs de trois mètres de haut, sur lequel il travaille avec un gaffeur (scotch noir qu’il installe sur l’œuvre). Une fois que le patron est terminé, on calque. » Jean-Dominique Fleury, le maître verrier, a un rôle très important techniquement ; les verres seront réalisés aux alentours de Munich. Chaque feuille de verre (cive) est découpée d’après un calque (4 mm d’épaisseur). Pas une fenêtre n’est semblable à Conques, le peintre choisit d’y établir des lignes de force noires ascendantes dans l’idée d’une élévation, propre à une abbatiale. Au transept nord, les fenêtres sont plus petites qu’au transept sud. On ne trouve pas de châssis autour du vitrail de Soulages.
Pour Benoît Decron, les vitraux de Soulages sont à part car ils ne sont pas à proprement parler une interprétation d’une peinture en vitrail ou un parti pris décoratif. Le conférencier remet en perspective ce travail de Pierre Soulages à Conques et les influences qui ont pu s’y exercer.
« Né le 21 décembre 1919 à Rodez dans une famille d’artisans, l’artiste est très tôt intéressé par la matière et l’outil. À Paris, autour du musée des Monuments français, beaucoup redécouvrent le Moyen Âge. Pour Soulages, c’est à Conques que cela se passe : il ne veut pas passer sa vie à la perdre en la gagnant et décide donc d’être peintre. Il reçoit une éducation religieuse par sa mère. Il voyage par la suite au Japon (d’où les influences du shinto, du zen, du protestantisme). »
Selon Benoît Decron, « le noir est une couleur qui contient toutes les couleurs. Son « outre noir » est un territoire comme on parle d’outre-Rhin. Il découvre cet outrenoir en 1986. Il fait vivre le noir avec de la lumière.

Le sacré existe

Soulages aime discuter de théologie. Il a essayé de favoriser la prière et la méditation à Conques. Il est aussi très influencé par l’œuvre de Rothko, aussi bien que par le basalte de Sumer ou d’Ur au Louvre. Pour Soulages, le sacré existe, c’est quelque chose qui nous habite.
Enfin, l’artiste essaie par son œuvre d’y attirer le « regardeur », dans un univers de méditation très étrange, formant un trio entre le peintre, le regardeur et l’objet. »
Un double projet bien abouti par un des derniers monstres sacrés de la peinture, qu’il s’agisse de Conques ou du musée Soulages, dans un même élan spirituel entre chair de lumière et outrenoir.

L.L.

Article paru dans les D.N.A. du 15/02/2015