La troisième conférence d’Arts et cloître du cycle « ombres et lumières » a été donnée par Colette Nys-Mazure, écrivain, poète, nouvelliste autour d’une seule œuvre : le ballon de Félix Vallotton. Par petites touches et avec beaucoup de sensibilité, elle a fait découvrir cette œuvre fascinante à travers une conférence très riche et participative.
Colette Nys-Mazure écrit volontiers en correspondance avec des peintres ou des musiciens. En effet, depuis qu’elle est enfant, la peinture l’interroge et la fascine. Une reproduction de la jeune fille à la perle l’accueillait chez sa tante maternelle. Elle feuilletait petite le catalogue de la National Gallery. Enseignante, une de ses élèves avait travaillé sur le ballon de Félix Vallotton et depuis cette œuvre est devenue pour la conférencière une espèce d’obsession. D’où ce livre sorti dans la collection Ekphrasis aux éditions Invenit qu’elle a intitulé le soleil ni la mort, en référence à une citation de la Rochefoucauld et qui fait écho à son parcours personnel, elle qui fut orpheline de père et de mère à l’âge de sept ans. Elle y analyse l’œuvre intitulée le ballon de Félix Vallotton. Reprenant les mots d’Arthur Schopenhauer, la conférencière indique qu’: «en face d’une œuvre d’art, il importe de se taire comme en présence d’un prince, attendre de savoir s’il faut parler et ce qu’il faut dire, faute de quoi on risquerait fort de n’entendre que sa propre voix. » Mais qu’a donc d’extraordinaire le ballon de Vallotton (57x 89,5cm, huile sur bois, 1899, Musée d’Orsay) ?
Les stoïciens pensaient aussi que la vie était un théâtre.
D’abord, une composition frappante. Le quart droit est très lumineux avec un enfant en vêtement blanc (dont on ignore s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille) à l’opposé du reste du tableau, situé dans des dégradés d’ombres. L’enfant court après un ballon rouge. Joue-t-il seul ou avec quelqu’un ? On l’ignore. Un autre ballon plus gros et jaune se trouve derrière. Deux femmes très statiques sont placées au bout du tableau. L’ombre de l’enfant est grimaçante et il est vu de haut comme en contre-plongée alors que les femmes sont placées au niveau du regard, plus loin. Au premier plan, une zone très éclairée fait penser par sa forme incurvée à un cirque (cf. le cirque de Seurat) ou à un théâtre. Le spectateur est ainsi mis en question. Colette Nys-Mazure évoque à ce propos les vers de Jean Folain. « Les enfants font du théâtre […] Tous se lavent les mains dans l’ombre près des végétaux flamboyants et sont encore à ce temps qu’on vit dans l’éternité. » Avec cette idée d’une enfance éternelle. Les stoïciens pensaient aussi que la vie était un théâtre. Le regard est attiré par les masses vertes qui emplissent l’espace à gauche et à droite et qui sont traitées très différemment : plus rectilignes à gauche et mousseuses voire menaçantes à droite. Ce tableau de Vallotton suscite un kaléidoscope de la mémoire mais ne donne aucune réponse. L’ambiance est inquiétante. Félix Vallotton (1865-1925) était un remarquable graveur et dessinateur, peintre, dramaturge, romancier et critique frappé par de nombreuses épreuves au cours de sa vie. Il fut fasciné et terrorisé par l’eau, lui qui faillit se noyer ; un de ses copains est mort après avoir été effrayé par l’ombre de Vallotton. Il décrit cette sorte de malédiction qui semble le poursuivre dans un roman intitulé « la vie meurtrière ». Ainsi, était-il comme un spectateur distant et hors de la vie, happé par les ombres. Au contact de cette œuvre, Colette Nys-Mazure, a senti sa propre histoire d’enfance envahir sa mémoire. Ses parents sont morts à trois mois d’intervalle, son père dans un accident, sa mère de maladie ce qu’elle raconte dans son dernier livre Dieu au vif. Elle aussi a connu une période d’ombres à la mort de ses parents. Elle se décrit ainsi : « d’insouciante, je suis devenue une fille de bonne volonté, désireuse de répondre à l’attente des grands, d’aller là où on lui dit de grandir sans jamais oublier qu’elle est responsable de la fratrie. […] Sous la chape de plomb et le ciel changé, où donc se dissimuleraient la lumière, la fête de vivre ? » Et pourtant, une énergie improbable se révèle qui permet de tenir debout et de retrouver la saveur d’être, grâce à l’amour de l’entourage et les recours de la lecture et de l’écriture. Le goût d’apprendre ouvre aussi un territoire sans frontières. « Comme j’épouse l’élan risqué de la fillette au ballon, » écrit Colette Nys-Mazure Après une épreuve pareille, certains auraient imputé à Dieu le mal survenu, pas elle pour laquelle Dieu est le sens et la source de son parcours humain et artistique.
L.L.
Article paru dans les D.N.A. du 28 décembre 2014.