Quand l’artiste s’inspire de la nature

Invité des conférences Arts et cloître, Jérôme Cottin, professeur de théologie à l’Université de Strasbourg, a donné une remarquable conférence sur l’Arte povera et le Land art, qui a enthousiasmé les auditeurs.

Mettant en valeur le geste de l’artiste immortalisé par la photographie, Jérôme Cottin il a su poser avec talent des mots justes et sensibles à propos de la Création et du mystère de l’homme et de l’artiste (dans le cadre du cycle sur l’homme et la nature) aspirant à une certaine spiritualité.
Dans les années 1960/70, en réaction à la société de consommation, des mouvements artistiques liés à la nature naissent hors de France. Deux vont nous intéresser plus particulièrement : l’Arte Povera et le Land Art. Tous deux ont une riche postérité et utilisent des matériaux simples tirés de la nature. « Première constatation : l’art est partout et pas toujours là où l’on voudrait qu’il soit. Il est au cœur de la vie », indique Jérôme Cottin à propos de l’arte povera, né en Italie à Turin et à Rome.


« L’objet exposé, se rapproche de la vie humaine qui a aussi un cycle de vie »


C’est le cas d’œuvres de Giuseppe Penone, de Mario Merz ou encore de Jannis Kounellis. Pour cela, il s’agit de rendre signifiants des matériaux insignifiants tels que le sable, la terre, la boue, le bois ou encore des chiffons, du goudron, de la toile de jute ou des vêtements usés. Le but est bien sûr de défier la société de consommation et l’industrie culturelle et pour cela, le geste créateur va être privilégié au détriment de l’objet fini, l’œuvre va être éphémère, le temps d’une exposition ; pas plus. « Ainsi ; l’objet exposé, se rapproche de la vie humaine qui a aussi un cycle de vie, » ajoute le conférencier. Certains artistes essaient aussi de faire participer le visiteur à l’intelligence de l’œuvre d’art. Ainsi, Luciano Fabbro créant deux carrés formant un cube virtuel, allusion à une œuvre de Paolo Uccello, où le spectateur devient coauteur de l’artiste en reconstituant par la pensée le cube. Pistoletto, dans l’architecture du miroir, œuvre réalisée pour une exposition du Centre d’art santa Monica de Barcelone, dans un cloître, nous apprend à nous approprier autrement les objets que nous côtoyons en les envisageant comme des oeuvres d’art. « Ainsi le reflet de nous-mêmes dans le miroir ne nous renvoie – t-il pas à nous envisager comme œuvres d’art, créées à l’image de Dieu ? », suggère Jérôme Cottin. L’Arte Povera naît en Italie dans un pays marqué par St François d’Assise et Pierre Valdo, fils d’un riche marchand lyonnais qui créera un mouvement appelé les « pauvres de Lyon » (à différencier des vaudois inspirés par Calvin) qui sera très violemment persécuté. « Aussi, l’objet dans l’arte povera devient signe d’un matérialisme spirituel, la pauvreté devient une richesse et le fini est capable d’infini. » Pour le Land art qui naît en Angleterre et aux Etats-Unis, l’intervention de l’être humain est minimaliste. Longtemps, la nature était un lieu d’exploitation, aussi, il se crée une conscience écologique avec le sentiment de la beauté et de la fragilité de la nature. La nature vierge est valorisée et la nature est envisagée comme devant être préservée. Il suffit de penser aux œuvres de Robert Smythson avec Spiral jeety où son œuvre digue disparaît lorsque les eaux montent ou à celles de Marcus Raetz montrant l’empreinte d’un geste humain ou encore celles de Goldsworthy, (Tweet Tarn) qui essaie de retrouver le sens du sacré avec des formes très simples ; enfin, une œuvre de Nils Udo, le nid, montre un homme nu réfugié au centre d’un gigantesque nid. La nature est vue comme une terre nourricière.


Un lien
indéfectible

A l’opposé, Franz Krajcberg, réalise des sculptures à partir d’arbres calcinés de la forêt amazonienne dans un geste militant ; sa famille ayant aussi disparu dans les camps nazis. Quête des origines, valorisation des cultures primitives, union et fusion avec la nature n’empêchent pas le sentiment d’une création fragilisée et d’un humain fragilisé également. Comme un lien indéfectible entre l’homme et la nature depuis la nuit des temps. Les artistes mettent en valeur cet essentiel et l’importance de ce lien. Si l’homme s’attaque à la nature, c’est finalement une atteinte à la Création qui se retourne contre lui-même, partie prenante de l’univers. A méditer ! Ces deux mouvements incitent surtout à envisager différemment notre univers immédiat et à changer profondément notre regard. A retrouver d’une certaine manière la profondeur de la Création et à s’en émerveiller.


L.L

Article paru dans les D.N.A. du 11 avril 2014.