Cézanne en pleine nature

Denis Coutagne, conservateur honoraire du patrimoine et président de la Société Cézanne, invité des conférences Arts et cloître, venu d’Aix en Provence, a captivé l’auditoire avec une conférence intitulée « la nature sublimée et réinventée dans l’œuvre de Paul Cézanne (1839-1906) » et a ainsi admirablement clos le cycle de conférences sur l’homme et la nature.


Denis Coutagne est l’ancien conservateur du Musée Granet à Aix. On lui doit la rénovation du musée et la grande exposition Cézanne à l’occasion du centenaire de la mort du peintre en 2006 entre autres expositions (également celle de Paris et celle d’Ornans l’an dernier pour une exposition Courbet-Cézanne). Dire qu’il connaît la peinture de Cézanne est un euphémisme. Si la nature est depuis toujours une source d’inspiration pour les artistes, pour Cézanne, un des pères de l’art moderne, elle est bien plus que cela, elle est la raison d’être de sa peinture. « Il est fasciné par la nature. Il a peint des paysages, des pommes, des baigneuses, des portraits… Mais il ne traite pas directement de sujets religieux, » introduit le conférencier.
Cézanne a un caractère forcené, tumultueux, violent, renfermé sur lui-même. Son père est banquier et souhaite que son fils fasse du droit, il y est donc contraint. Mais sa fortune familiale et son amitié avec Zola, feront qu’il ne sera pas obligé de gagner sa vie et pourra se consacrer à la peinture. Emile Zola fera venir Cézanne à Paris tant et si bien qu’il passera autant de temps à Paris qu’à Aix en Provence. De 1871 à 1882, il est plus parisien. Mais il ne peint aucun coin de Paris comme vraiment indentifiable à la différence de Pissaro par exemple. Alors que c’est la nouveauté amenée par les Impressionnistes après les peintres de l’école de Barbizon. « Il va s’initier au paysage, peut-être sous l’influence de Pissaro. Il va s’astreindre à travailler plus vite.

«Je dois la vérité en peinture et je vous la donnerai»

Pour Cézanne, la peinture se doit d’être une relation à la nature. La nature est sublimée mais elle est toujours le lieu d’une catastrophe avec un drame caché. Les personnages y sont rares, » indique Denis Coutagne. Il souhaite représenter une « sensation » de la nature en créant une « harmonie parallèle à la nature » sans leurrer le spectateur. Il faut traiter la nature par la sphère, le cylindre et le cône. « Plusieurs éléments traduisent la présence de la nature dans son œuvre : d’abord le chemin qui ne mène nulle part, (alors que Cézanne est un grand marcheur) ensuite l’arbre qui représente une sorte de barrière, un lieu d’opacité, enfin l’eau, souvent au premier plan de ses tableaux qui permet à la fois, l’évocation de souvenirs de jeunesse, une grande richesse de coloration, la multiplication de motifs avec reflets et plans successifs et le thème du corps de la femme qu’il transpose ». Ses baigneuses sont devenues des monuments picturaux où l’eau est de plus en plus réduite. « Il veut faire de l’Impressionnisme une chose solide et durable comme l’art des musées. Il fait de la peinture pour se désennuyer au sens de Spleen et Idéal de Baudelaire. En ce sens que l’idéal s’est effondré et qu’on n’a plus accès au ciel même si Cézanne est croyant pratiquant et profondément traditionnaliste. » Mais le centre de gravité ascensionnelle de la peinture de Cézanne demeure la montagne Ste Victoire, peinte un peu à la manière de Poussin. « Elle devient le symbole de la bataille entre un général romain et les barbares, de l’ordre contre le désordre. Cézanne veut aller au-delà des passions, ordonnancer, maîtriser, orchestrer. La Ste Victoire peinte maintes et maintes fois est mythique, un peu comme le Sinaï pour le peintre. La montagne recueille le ciel comme un exaucement et un apaisement », analyse Denis Coutagne. Cézanne disait encore à la fin de sa vie : « Arriverai-je au but tant recherché et si longtemps poursuivi ? […] Je dois la vérité en peinture et je vous la dirai… » L’artiste envisage et sauvegarde la peinture comme une quête insatiable et un enjeu de vérité même s’il s’arrange parfois un peu avec la nature dans le sens où sa peinture n’en est pas le pâle reflet. Il mourra le pinceau à la main, sinon incompris du moins inconnu du grand public. Il n’est pas encore le peintre de réputation internationale qu’il deviendra ensuite. Il sera allé au bout de sa tâche et de son combat. Il ne cesse depuis de nous interroger face à la nature. Il ouvre aux peintres qui le suivront une postérité immense entre figuration et abstraction et donne à voir au-delà de sa peinture un monde invisible qui lui est propre.

L.L.

Article paru dans les D.N.A. du 10 mai 2014.