Le souffle poétique roman.

Il aurait fallu pouvoir pousser les murs pour accueillir le public venu en nombre écouter la conférence de Christiane Keller, auteur et poète. Elle permit à chacun de décrypter autrement la symbolique romane.

Christiane Keller, venue de l’Allier et qui eut le prix prestigieux de poésie Max-Pol Fouchet en 1985 est « un poète en douce et forte harmonie avec le secret de la nature ». A 25 ans, elle quitte l’Alsace pour s’installer dans le centre de la France : le Bourbonnais. Ce « voyage vers l’intérieur » n’aura sans doute jamais aussi bien porté son nom. Quitter, pour rencontrer… C’est de là que date le bouleversement des profondeurs, la Rencontre, singulière expérience de conversion qui devait libérer la parole pour elle…

L’étoile polaire comme point fixe

Auteur de nombreux ouvrages dont deux sur l’art roman, elle a choisi par cette conférence de célébrer la symbolique romane qui met au cœur de sa réflexion la nature et le mystère du créé. Comme le disait Marie-Madeleine Davy, « la symbolique romane est une vasteté ». Dans cette époque lointaine du XIIe siècle, l’univers est un tout pour l’homme roman. « L’homme à l’époque romane est une créature en capacité de majesté et en capacité de Dieu proche de la Nature. Nous sommes donc bien loin de cette conception, nous qui sommes héritiers du monde postmoderne et du relativisme », indique Christiane Keller. A cette époque, les nomades observaient la course du soleil. « Un point fixe demeurait : celui de l’étoile polaire, pris pour base de toute création. Les signes, les significations et les symboles vont alors être redistribués. L’architecture s’inscrira désormais dans le temps cosmique », ajoute la conférencière. Ce point fixe peut-être retrouvé un peu partout dans la sculpture et l’architecture romane : on en part et on y revient. La pensée romane est une pensée analogique, proche des poètes, à l’échelle de l’homme, vertical, dans le temps et l’espace à la fois. Aussi, il fallait bien un poète pour en donner les codes et faire entrer dans le mystère de pensée et de création de cette période lointaine.

« Beaucoup de cercles créationnels partent de la bouche (souffle) ou des mains sur les sculptures de cette période. Si la dualité est chère à la symbolique romane, le croisement et l’enlacement sont signes d’harmonie. Ainsi, les deux bâtons du chiffre romain dix se révélèrent être le fruit de l’entrelacement des deux mains et étaient considérés comme un symbole de plénitude ».

La divine proportion

Mais quels étaient les outils de l’homme du XIIe siècle ? Il avait à sa disposition compas, règle et corde à 12 nœuds pour faire un angle droit et utilisait la divine proportion pour construire les églises. De superbes images de la Bible de Souvigny montrent Dieu à l’intérieur d’un cercle qui s’amenuise jusqu’à ce qu’Il soit de plain-pied avec l’homme et la femme. Christiane Keller étudie l’ambivalence des images féminines des eaux poissonneuses inspirées de la Genèse (sirène, murène, mère, femme séductrice ou castratrice…). Elle explicite ensuite le chevron, « signe originel proche de la forme de la vipère, de la vouivre ou de la sirène située à proximité des puits pour marquer un axe entre haut et bas. Le motif de la fougère est souvent associé aux eaux et symbolise l’humilité et la simplicité ». On le trouve dans le narthex ou sur les tympans pour inciter l’homme à la repentance. Jusqu’à l’épisode de Jonas, avalé par un poisson comme pour être réengendré pour renaître les yeux ouverts et chanter de nouveau la Création. Un symbole de résurrection. La femme retrouve toute sa place dans la Création, grâce à l’amour courtois et à St Bernard qui a remis à l’honneur le Cantique des Cantiques.

Enfin, Christiane Keller montre comment le Christ a pris peu à peu la place de l’étoile polaire et la Jérusalem céleste celle de la Révélation terrestre. Une démonstration très éloquente et poétique qui a permis d’aller au cœur du mystère grâce aussi à de somptueuses images et à un extrait de film final mettant l’accent sur la simplicité, la beauté de la Nature et le cœur de l’homme, là où tout se joue.

L.L.

Article paru dans les DNA du 6/12/2013.