Nature, miroir de l’âme

Forte affluence pour la première conférence de la 8ème saison d’arts et cloître autour du thème de l’homme et la nature.

 

Valérie Buisine, assistante doctorante en théologie à l’Université catholique de Lille a donné une conférence intitulée : « itinéraires de l’homme et du sacré dans l’art du XXe siècle : du paradis perdu à la réconciliation avec la nature »

L’art et la peinture ont longtemps été « un miroir de ce que la nature nous offre de plus beau » et le fait d’inventer ou de créer chez les artistes, hors règles académiques, n’est apparu qu’au XIXe siècle. « La nature est une thématique qui se développe hors champ religieux et quand on parle d’art sacré, on ignore à cette époque-là ce contenu s’il n’est pas explicitement chrétien, sachant que la culture catholique est alors particulièrement présente.

« Comme si la nature était plus à même de nous comprendre car elle nous précède et nous survit »

Si la nature ne se réduit pas aux arbres et aux animaux bien sûr, il faut remarquer qu’au XXe siècle, le bouleversement dans la peinture a été tel que l’on s’est focalisé sur le formel (de l’impressionnisme au cubisme) en oubliant le contenu spirituel (esprit de l’homme et ce qui l’anime) », indique Valérie Buisine. Elle renvoie aussi à la grande exposition du centre Pompidou en 2008 intitulée « Traces du Sacré » qui met le sacré au carrefour de nombreuses disciplines et rappelle ce qu’en disait Jean de Loisy, commissaire de l’exposition : « le désenchantement du monde a entraîné un changement radical du rôle de l’artiste mais les interrogations demeurent ». D’où une invention de formes nouvelles, de récits différents inspirés par d’autres sources que les textes sacrés et un retour aux origines, au paradis perdu qui permet d’échapper à un certain embourgeoisement et à une forme de sclérose. C’est le cas des œuvres de Gauguin (1848-1903) par exemple. L’artiste fuit la civilisation pour une île de Polynésie. Il y peint son œuvre « Joyeusetés ». Un monde idyllique, où la nudité symbolise la liberté de l’esprit, où l’homme retrouve l’inné indépendamment de l’acquis. La simplicité apparente ne doit pas faire oublier le gros travail de composition. Le credo de Gauguin est de ne pas trop copier d’après nature, de penser plus à la nature qu’au résultat. Son œuvre testament est intitulée : d’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? (musée de Boston, 1898).

Gauguin écrit ceci à propos de la nature : « Elle règne en notre âme primitive comme si la nature était plus à même de nous comprendre car elle nous précède et nous survit ».

Nostalgie du paradis perdu

L’interrogation sur l’être et la vie va passionner beaucoup d’artistes. C’est le cas aussi de Matisse (1869-1954) qui a voyagé à Tahiti mais n’y a pas habité. Il décrit, quant à lui, l’harmonie entre l’homme et la nature, entre l’âme et le corps qu’il traduit par une grande force expressive et des couleurs vives presque tirées du tube que ce soit le Ciel , la Mer, la Danse ou le Bonheur de vivre ou bien encore Luxe, calme et volupté , titre d’une de ses œuvres exposées au Salon des Indépendants que le critique Pierre Schneider a trouvé ridicule.

Pour Matisse : « être spirituel : c’est aussi savoir s’émerveiller de la Création, être heureux de vivre. »

A l’opposé, Frantz Marc cultive la tristesse et la nostalgie du paradis perdu à travers ses nombreuses peintures d’animaux. Pour lui, seul l’animal a gardé l’aspect originel divin de la Création première du monde. Erich Heckel comme Matisse peint un homme nouveau en harmonie avec la nature (Adam et Eve, 1913). Emil Nolde comme Gauguin et Kirchner découvre les peuples primitifs et leurs coutumes (transe…). La nature suppose non seulement le végétal, l’animal mais aussi l’infiniment petit au cœur de l’humain et de la Création par exemple et l’infiniment grand au sein du cosmos, de l’univers. Ainsi les nouvelles inventions du monde de l’optique ou de la photographie (Muybridge) font reculer les frontières entre visible et invisible.

Des peintres comme Kupka ou Kandinsky en rendent compte, s’en émerveillent et invitent le spectateur à une méditation sur l’univers auquel ils appartiennent et qui les dépasse. Valérie Buisine montre ensuite des images abstraites tirées du réel au cœur des divisions multiples de la cellule humaine ou de l’univers à près de dix années lumière avec des images de l’exposition « Vues d’en haut ».

« Ces artistes, conclut-elle, sont en quelque sorte les gardiens de notre émerveillement sur le monde. Et la beauté de la Création demeure le seul moyen d’accéder à la transcendance et de toucher le doigt de Dieu ».

Comme quoi, les recherches de l’homme et de l’artiste n’ont pas encore altéré leur fascination pour la nature et ses mystères.

L.L.

Article paru dans les DNA du 5/11/2013.