Niemeyer, la courbe et le paysage

Yannis Tsiomis, architecte (*), invité des conférences Arts et cloître a fait découvrir le style et l’œuvre particulière d’Oscar Niemeyer (1907-2012), à Brasilia, avec brio à travers film, conférence et échanges avec l’auditoire, venu en nombre l’écouter.

 

Yannis Tsiomis a expliqué tout d’abord comment est né le projet de Brasilia dans le cadre de la projection d’un film de 2004, réalisé avec le Ministère de l’Education et de la recherche. « A pays neuf, capitale neuve. Lorsque Juscelino Kubitschek fut élu président de la République du Brésil en 1955, il fit de la création d’une capitale le symbole de sa politique visant à améliorer l’image de tout le pays, à développer l’industrie et à entreprendre de grands travaux de construction. Suite à un concours lancé en 1956, le projet de l’urbaniste Lucio Costa est retenu et son ami Oscar Niemeyer s’occupera désormais de l’architecture ».

« La ville se fait dans le temps, Brasilia dans l’instant »

Brasilia fut construite ex nihilo à partir d’un double axe en forme de croix, soixante mille ouvriers y ont travaillé 24 heures sur 24 pendant de très nombreuses années. « Lorsque l’on regarde le plan général, il a la forme d’un avion mais le ressenti in situ est tout autre. Le module de base est constitué de quatre carrés successifs, appelés « supercuadra ». Tout au long de l’axe nord-sud ce schéma se répète et, de temps en temps, se trouvent quelques commerces où l’on a alors l’impression d’une rue ».

Mais le véritable nœud de Brasilia est la gare où classes aisées et populaires se croisent, venant pour les secondes, des villes satellites plus ou moins légales qui naissent et se développent sans cesse ressemblant même parfois à des bidonvilles. « La ville se fait dans le temps, Brasilia dans l’instant », indique Yannis Tsiomis.

Oscar Niemeyer a construit et dessiné plusieurs églises, ces cathédrales immenses et mystérieuses selon le mot de l’architecte brésilien alors qu’il était communiste et athée. « Chacune de ses églises a un côté exceptionnel. Le rapport à la nature, au paysage, à la vie et à la mort est toujours omniprésent.

Tout commence en 1940 à Pampulha vers Belo Horizonte où il construit l’église St-François-d’Assise, devenu le prototype de l’utilisation et de la souplesse du béton, avec quatre voûtes autoportantes et des fresques intérieures et extérieures (azulejos) réalisées par le peintre Portinari. Cette église choquera tellement le clergé qu’il faudra attendre les années 1990 pour qu’elle soit consacrée », ajoute Yannis Tsiomis. Niemeyer réalise aussi une petite église Ste-Marie avec un toit en forme de coiffe de religieuse, une commande de la femme du président puis la chapelle de la présidence de la République. A Niteroi en face de Rio, il construit une église. Et enfin la cathédrale de Brasilia, réalisée en 1959, consacrée en 1970, est l’un de ses chefs-d’œuvre. « La structure de l’ingénieur Cardoso est une performance magnifique.

« Le paysage joue un rôle d’intermédiaire entre l’homme et la nature ».

Les arcs partent en faisceau et les vitraux de Portinari s’y déploient. Vers les 2/3 de la hauteur, les arcs se rencontrent pour former une couronne et assurer la stabilité de l’ensemble. On y accède par une rampe souterraine qui fait déboucher dans la nef circulaire en pleine lumière, comme une sorte de métaphore de l’Ascension et du ciel. Les anges sont suspendus et se profilent sur la structure. »

Le ciel et les nuages, que Niemeyer aimait tant observer, suggèrent des cathédrales immenses et mystérieuses au-delà des bâtiments. Niemeyer avait un rapport constant à la nature (comme tout brésilien) et à l’horizon. ll allait régulièrement au jardin des plantes de Rio. « Le paysage joue un rôle d’intermédiaire entre l’homme et la nature. La nature n’est pas à domestiquer mais est un élément structurel de l’architecture et permet un mélange dedans/dehors. (cf Ministère des Affaires Etrangères avec au centre un très beau jardin du fameux paysagiste Burle Marx) » Il utilise la courbe trouvée dans la nature (montagnes, fleuves, nuages…) mais aussi la sensualité de celle-ci, inspirée de la femme. Ses formes plastiques sont audacieuses et inattendues pour des églises religieuses.

Atypique mais généreux

Par son métier d’architecte, il voulait faire disparaître les inégalités et rendre le pays plus fraternel et solidaire. Oscar Niemeyer tient une place majeure dans la constellation des grands architectes du XXe siècle. « Il est certes un des défenseurs du mouvement moderne, admirateur de Le Corbusier avec lequel il a travaillé dès 1936. Mais il se distingue surtout par la plastique de ses formes en béton, par son rapport au paysage, par la sensualité que dégage toute son œuvre. » Personnage atypique mais généreux, ses très nombreuses réalisations parlent d’elles-mêmes : plus de 600 en soixante-dix ans, trouvant leur inspiration dans la nature même.

(*) Yannis Tsiomis est professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Paris la Villette et directeur de recherches à l’E.H.E.S.S.

L.L.

Article paru dans les DNA du 10/01/2014