La culture du jardin et nous-mêmes

De Jean Monnet à Anish Kapoor, les artistes ont puisé dans leur jardin la foi et le feu, l’inspiration et le rêve, fondation de toute création. Une vaste plaine fertile revisitée par Valérie Buisine à l’occasion d’une conférence d’Arts & Cloître dans le caveau de la chartreuse de Molsheim.

Hiramatsu-Reiji,-Giverny,-l’étang-de-Monet-_-brise-légère,-2013.©-Hiramatsu-Reiji-©-Giverny,-musée-des-impressionnismes

Reflet de la spiritualité, le jardin qu’il soit ouvert sur le monde ou intérieur, a inspiré quantité d’artistes. Dans le caveau de la chartreuse de Molsheim dans le cadre des rendez-vous de l’association Arts & Cloître, Valérie Buisine, professeure d’histoire de l’art à l’université catholique de Lille, spécialiste de l’étude de la « spiritualité dans l’art moderne et contemporain », explore la mécanique créative qui fait d’un jardin l’espace de tous les possibles. « Il est intéressant de remarquer l’omniprésence de la question de l’écologie et comment, tout naturellement, les artistes s’en sont emparés » rappelle Laurence Levard, présidente de l’association Arts & cloître et instigatrice des rencontres.

Des artistes en contrepoint d’une société brûlant la chandelle par les deux bouts

Dans le caveau comble, les auditeurs sont d’une attention sans pareil. « Lorsque j’ai préparé cette conférence, j’ai été stupéfaite par le nombre d’expositions consacrées sur ce thème de la nature et du végétal », explique en liminaire Valérie Buisine. C’est par la publicité que la conférencière nous fait entrer dans son univers. « On observe un détournement des œuvres qui crée un double effet : une secousse écologique et un réveil renvoyant à la mystique du XIXe  », note-t-elle. Ainsi lorsque les artistes contemporains investissent la thématique, ils se positionnent en contrepoint d’une société brûlant la chandelle par les deux bouts. « Ils suscitent l’émotion et la réflexion, parfois radicale », résume Valérie Buisine.

En témoigne le travail de Ricardo Ramos, récupérant des déchets de la mer pour en faire des œuvres. « Pour lui, le recyclage ne suffit pas. Il faut arrêter l’usage du plastique », illustre la conférencière.

« Nous sommes des chercheurs de l’intérieur de l’extérieur »

Au-delà de l’acte de dénonciation, il y a bien souvent une référence au « Bien commun » de notre planète : paysage, air, mer, terre, générosité de la nature. Tout ce qui donne la vie et la maintient que l’homme épuise jour après jour pour satisfaire une consommation insatiable. « Albrecht Dürer, peintre allemand (1471-1528) va magnifier les paysages et faire, du coup, partie des premiers artistes de ce courant. Dans le prolongement, Paul Cezanne, bien plus tard, sort des ateliers pour capter cette nature. Un élan qui s’estompera avec l’arrivée de la photo, prenant la relève dans l’expression du réel », énonce l’historienne de l’art, citant Wassily Kandinsky : « Nous sommes des chercheurs de l’intérieur de l’extérieur »

« Une réalisation réflexive qui remet l’homme dans son décor »

En posant ces mots, ce maître de l’abstraction tente de révéler le rapport de l’homme à la nature et à Dieu. Une transcendance ressentie à travers la série des Meules de Claude Monet. « Des tableaux dont l’expression de la lumière est plus importante que le sujet », souligne Valérie Buisine. Une impression retrouvée dans le « Soleil » d’Edvard Munch où l’explosion d’une étoile témoigne d’une quête spirituelle.

Sous la lumière d’un autre astre, les paysages peuvent revêtir de tout autre atour. « Moins connue, cette série d’une soixantaine de toiles de Gustav Klimt, met en valeur une modernité », poursuit-elle. Inhabituelle par son format carré d’un mètre cinquante, elle explore des paysages oniriques dépourvus de personnage, sous un clair de lune, parfois sépulcral.

Quittant l’expression du mystique, la conférencière prend pied dans le Sublime. « Anish Kapoor a une œuvre protéiforme et travaille à partir de toutes sortes de matériaux », note l’historienne de l’art. Tel l’acier poli, base d’une réalisation nommée la « Porte de Nuage », une arche monumentale dotée d’un effet de miroir. « C’est une réalisation réflexive qui remet l’homme dans son décor », décrit Valérie Buisine. Il en va de même pour ce mystérieux bunker de Dunkerque, recouvert d’une multitude de miroirs, offrant un décor éphémère. Travailler avec la nature renvoie nécessairement à la temporalité de la réalisation : c’est le cas pour Christo qui redécoupe ainsi le paysage. « La recherche de David Solis propose une autre perspective de la nature où les arbres apparaissent comme des barreaux de prison. Plus impressionnantes, les broderies de Tereza Barboza offrent une fenêtre atypique et fascinante sur la fenêtre comme une tentative d’appropriation par une reproduction.

Pour conclure, Valérie Buisine renvoie aux mots empruntés à Etienne Martin « nous sommes à l’image de l’arbre mais nos racines sont à l’intérieur de nous-mêmes ».

F.M.

Article parue dans les D.N.A. du 25/12/2019