Un regard sur l’Éternité

Pont entre le visible et l’invisible, le retable de Beaune est une merveille artistique et symbolique. Sophie de Gourcy, historienne de l’Art médiéval a décrypté l’œuvre magistrale, lors d’une conférence Arts et cloître.

C’est un chef-d’œuvre que l’humanité contemple depuis 500 ans. Le Jugement Dernier de Rogier Van der Weyden a illuminé les Hospices de Beaune. Si une conférence lui a été dédiée dans le cadre des rencontres Arts & Cloître entre les murs de la Chartreuse de Molsheim, c’est qu’il touche autant à l’universel qu’à l’intemporel. « Le retable de Beaune est une commande de Nicolas Rolin, fondateur, avec sa femme Guigone de Salins, des Hospices de Beaune, alors chancelier du duc de Bourgogne » débute Sophie de Gourcy, historienne de l’Art médiéval et Baroque. Didactique, elle revient sur les 15 panneaux aux dimensions impressionnantes de plus de 2 mètres de haut et 5 de long. Ces peintures composent ce polyptyque installé dans le fond d’une travée de 72 mètres, dans laquelle les lits de malades étaient installés. « On peut imaginer qu’à l’agonie, leur regard se portait sur ce retable », note la conférencière. Le chef-d’œuvre utilise tous les moyens picturaux et scénographiques pour s’adresser à l’âme des observateurs en quête d’un salut.

Le retable témoigne des craintes et des aspirations d’une époque

C’est Rogier van der Weyden, Maître de l’école flamande au sommet de son art a mis un peu moins de cinq ans pour réaliser les tableaux. « Au moment de la commande, il excelle dans la technique de la peinture à l’huile avec glacis qui permet un rendu des matériaux. Cela crée un réalisme », précise Sophie de Gourcy.

Outre une technique parfaitement maîtrisée, le retable témoigne des craintes et des aspirations d’une époque. Sur les panneaux fermés, la présence de Saint-Sébastien rappelle les ravages de la Peste, le traumatisme encore présent dans les esprits et la nécessité de l’intercession du saint protecteur. Une vision qui devait avoir une lourde de résonance dans cet hospice édifié en 1443, à peine cent ans après la grande pandémie. Mais au centre, lorsque le retable se découvre, il y a ce Jugement Dernier, un Christ en majesté. À sa droite, les âmes appelées à monter au Paradis, de l’autre côté, celles damnées. « Il y a ces personnages à la frontière, dans les limbes. Un mot qui étymologiquement vient du latin « limes », les limites », précise Sophie de Gourcy, se promenant dans ce tableau avec une aisance sidérante. Disposition géométrique symbolique, représentations allégoriques puisées dans la tradition iconographique chrétienne du haut Moyen Age, détails à peine visible, l’œuvre de Rogier Van der Weyden recèle mille secrets que seul l’œil avisé de l’historienne de l’art perce. Ici, des citations latines, là l’ombre d’une âme condamnée aux enfers. Rarement, l’homme a pu contempler l’Éternité d’aussi près.

F.M.

Article paru dans les D.N.A. du 25/04/2019