Pour la 12e saison d’Arts et Cloître, la peinture d’histoire au XIXe siècle en France était au programme avec la façon d’envisager l’instant et le temps pour constituer une mémoire. Une grande fresque dépeinte avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité par Jean-Jacques Danel, franciscain et historien de l’art.
La peinture d’histoire née au XVIIe « est le genre le plus prisé selon le peintre Félibien qui établit un classement pour l’Académie des Beaux-arts : sujets religieux, batailles ou scènes mythologiques. Louis XIV en a usé avec le succès que l’on connaît. » Elle permet peu à peu de se forger un référent national. Le conférencier montre une multitude de tableaux très variés dans leur approche du temps et la réalisation de l’image. C’est souvent le résultat d’une commande. Mais le temps est souvent distancié entre l’événement et sa représentation. La part de subjectivité de l’artiste y intervient comme parfois celle du commanditaire ainsi que les modes. Alors au final, comment lire une scène du XIXe siècle sans se faire « manipuler » ? »
« Une manière habile de faire oublier les 25 000 morts de cette bataille ! »
« A la fin du XVIIIe siècle, à la suite du comte d’Angevilliers, on va s’intéresser au patrimoine. C’est la naissance du néoclassicisme où l’on aime s’inspirer de faits anciens pour décrire une situation actuelle. »
Dans l’enlèvement des Sabines, David a insisté sur l’idée très moderne pour le XIXe siècle des héros et des héroïnes. Les femmes ont permis d’éviter une guerre et favorisé une réconciliation entre les Romains et les Sabins. « Le tableau du sacre représente trois ans de travail, après l’évènement. Si Napoléon se couronne lui-même et Joséphine, les références sont romaines. Le peintre y était présent. Mais il y place la mère de l’empereur qui n’y était pas. Ainsi le rapport à l’histoire est bien différent d’aujourd’hui : c’est une représentation selon l’inspiration du peintre.
De même, le baron Gros peint Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa en 1804 après le sacre mais en choisissant de le placer au milieu de ses soldats, allusion au pouvoir du roi qui pouvait toucher les écrouelles. « Une façon de se légitimer et de s’inscrire dans une longue tradition. Le même peintre montre pour une commande officielle présentée au Salon le champ de bataille d’Eylau en insistant sur le geste de Napoléon en faveur des prisonniers russes. Une manière habile de faire oublier les 25 000 morts de cette bataille ! »
Le travail de journaliste de Géricault
Géricault dépeint aussi les officiers ou les cuirassiers comme des héros anonymes auprès de leurs chevaux qui se cabrent. Si David choisit de montrer Bonaparte en conquérant, Delaroche peint l’homme seul qui subit. « Le tableau des massacres de Scio de Delacroix où une famille attend la mort a eu une grande influence sur les romantiques. En effet, l’expression des visages ne suit plus celle du corps mais tient compte du ressenti, » ajoute le conférencier. Au salon de 1819, Géricault présente le radeau de la Méduse. Il prend un exemple contemporain à une époque troublée où l’on se cherche un nouveau héros après Napoléon et avant Louis XVIII. La Frégate « la Méduse » s’échoue avec 147 personnes à son bord. Quinze jours plus tard, quinze survivants sont récupérés par la frégate Argus. « Il y a eu des cas de cannibalisme et le personnage en responsabilité a été coopté par relation. En plus, Géricault représente en haut de sa pyramide humaine un esclave noir, tout ceci fait scandale. Il a pour ce tableau effectué un travail de journaliste en allant dans les morgues. Il veut montrer que l’homme est capable de trouver en lui la force d’aller plus loin hors du système politique ou religieux ».
Marat plus que la Bastille
Mais ce qui a compté dans l’histoire de notre pays est parfois très peu représenté par les peintres à l’inverse d’autres événements. Ainsi, « la prise de la Bastille, fait majeur pour notre République aujourd’hui a été très peu représentée en peinture. En effet, la Bastille ne fut défendue que par 5 invalides, puisque depuis Louis XVI, on n’embastillait plus. Et le 14 juillet ne devint le jour de la fête nationale que 100 ans après en 1880. »
Au contraire, le tableau de Marat assassiné réalisé par David fait référence à ce député républicain des montagnards qui fut à sa mort exposé nu avec un drap mouillé et sa blessure montrée à tous. « Marat est devenu avec David le nouveau martyr de la révolution. Pour renforcer cet effet, les tons sont froids, le corps livide, la blessure saigne, il tient dans sa main la lettre de Charlotte Corday ». Enfin, la Liberté guidant le peuple n’est pas envisagée par Delacroix comme une allégorie de la République : « j’ai entrepris un sujet moderne, une barricade, » disait-il. « Le fait de représenter côte à côte les bourgeois et le peuple n’a pas plu sans compter les nombreux cadavres. L’image n’a pas convenu non plus aux révolutionnaires de l’époque, » précise J.J Danel.
L’Alsace et la Lorraine au pied de la croix
Enfin, il est frappant de voir à travers la peinture combien Napoléon III a fait la guerre à la seule fin de se montrer le digne héritier de Bonaparte. Pendant dix ans, les épisodes de la Commune n’étaient pas représentables. Certains tableaux font allusion à l’histoire alsacienne comme la bataille de Reichshoffen peinte par Aimé Morot. Enfin, le dernier tableau projeté d’Eugène Chaperon montre les vedettes, l’Alsace et la Lorraine au pied de la croix, côté prussien avec en face un cavalier français prêt à venir à leur secours. Et les morts eux aussi français se relèvent pour charger comme dans un film fantastique. La mémoire de la guerre de 1870 semble avoir été oblitérée dans la mémoire collective. Pourquoi ? Tous les peintres n’ont pas peint l’histoire. Certains comme les impressionnistes n’ont pas voulu ou pas pu le faire. Aujourd’hui, encore de quelle réalité tiennent compte les peintres aux armées ? Vaste question pour un sujet passionnant.
L.L.
Article paru dans les D.N.A. du 05/11/2017