À l’origine du cubisme

Invitée des conférences Arts et cloître, Martine Sautory, historienne de l’art et collaboratrice du journal La Vie a brossé dans une conférence la naissance du cubisme à travers la relation d’amitié qu’ont entretenu Georges Braque et Pablo Picasso.

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« Si le cubisme fut l’aventure la plus fructueuse de l’art moderne, c’est aussi la plus difficile à expliquer. En effet, on ne reconnaît pas toujours le sujet, les teintes sont souvent ocres ou ternes, et pour certains, c’est un trou noir, car ils ne savent comment interpréter ces oeuvres », introduit Martine Sautory.

Très différents par leur parcours et leur caractère

Or, il faut bien savoir que Braque et Picasso n’ont pas donné d’indications par rapport à leurs démarches respectives, ils ont laissé l’histoire de l’art s’en arranger avec toutes ses inexactitudes. Ainsi, le père Couturier a interrogé Braque et celui-ci lui a répondu : « Nous n’avons jamais fait de cubisme. » Et Picasso a surenchéri : « Personne ne nous a tracé de programme d’action. »

Braque et Picasso ont sept mois d’écart, mais sont très différents par leur parcours et leur caractère. Braque est à Argenteuil en pleine période impressionniste. Son père est entrepreneur en bâtiment, celui de Picasso est professeur de dessin. Picasso, Génois et Andalou par sa mère, est frappé par la mort de sa soeur Conchita. Il va se réfugier dans l’art, aux Beaux-Arts dès 15 ans, puis à l’académie Royale San Fernando. À 18 ans, Braque fait son apprentissage de peintre décorateur car il a compris qu’il ne pourra faire les Beaux-Arts. Picasso peint beaucoup plus vite que Braque qui est plus réfléchi et appliqué ; Braque veut rompre avec l’Impressionnisme et trouver un autre chemin. Tous les deux sont très influencés par Cézanne.

Braque présente ses tableaux au salon des Indépendants. Matisse est le premier à parler de cubes pour la peinture de Braque. Eric Satie est le seul à avoir raisonné sur le cubisme. Max Jacob parle de Picasso, rencontré chez Vollard comme « d’un mince et pâle jeune homme qui intriguait par l’étrangeté de son regard ». Braque découvre les demoiselles d’Avignon de Picasso au Bateau-Lavoir en 1907, scène de maison close et il en dit ceci : « C’est comme si tu voulais nous faire manger de l’étoupe ou boire du pétrole. » Beaucoup de visiteurs sont choqués par cette peinture.

Pourtant, les deux artistes sont comme une cordée et échangent beaucoup sur leurs travaux et leurs découvertes. « Ils rivalisent aussi avec beaucoup d’humour. À tel point que leurs oeuvres se ressemblent tellement qu’ils n’apposent plus leurs signatures, sinon au dos et quelquefois après coup, indique la conférencière. Tous deux collectionnent les oeuvres africaines : « Picasso a un grand talent de portraitiste, il essaie de montrer un même visage sous plusieurs angles. » Ils cherchent à représenter le visible au-delà de la quête picturale.

Braque va utiliser ses techniques artisanales (pochoir, etc.) et va initier Picasso qui sera plus talentueux et plus facétieux que Braque. Ils recherchent une nouvelle dimension spatiale en y introduisant quelques objets identifiables, comme un morceau de toile cirée par Picasso ou un papier collé par Braque (compotier et verre, 1912, fusain papier, faux bois).

Braque en recherche de sa propre conception plastique, semble également mu par sa quête intérieure. « Il a pour évidence de toujours placer le sujet au centre, de composer sa toile autour de celui-ci. Picasso au contraire diffuse et fait rayonner à partir du foyer. »

La guerre interrompt ce duo. Braque part au front, beaucoup d’incompréhensions naissent entre les deux artistes qui s’éloignent désormais. « Picasso fait le décor d’un rideau de scène sur le thème de la parade en 1917, Braque va consacrer quinze ans de sa vie au thème de l’oiseau. Picasso est sensible au dessin, Braque à l’espace et au coloris. » Ce dernier est aussi marqué par la réflexion de Bergson sur le temps et la vie intérieure où se place l’intuition qui remplace l’inspiration artistique.

« L’émotion est le germe, l’oeuvre est l’éclosion. » « Repartant de la toile blanche, Braque établit un certain parallèle avec les textes de la Genèse, une certaine gradation dans le processus de création. » Comme dans la Genèse, la lumière est au centre, l’artiste s’apparente au processus du Créateur en séparant pour mieux créer.

L.L.

Article paru dans les D.N.A. du 05/06/2016