Jean-Jacques Virot, professeur d’architecture à l’INSA de Strasbourg a donné une conférence passionnante devant un auditoire nombreux et attentif sur les coulisses du chantier du couvent des clarisses à Notre-Dame-du-Haut réalisé par Renzo Piano.
Située à Ronchamp, dans le département de Haute-Saône, en Franche-Comté, la colline Notre-Dame-du-Haut est un lieu d’une haute valeur historique, artistique et spirituelle. 65 000 visiteurs y viennent chaque année du monde entier. Lieu de pèlerinage marial depuis le XIIIe siècle, elle rassemble plusieurs architectures contemporaines dans un environnement d’exception.
Le Corbusier y construisit une chapelle en 1955, candidate à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2016. Lors de l’inauguration, il disait : « En bâtissant cette chapelle, j’ai voulu construire un lieu de silence, de prière, de paix et de joie intérieure. » Jean Prouvé réalisa un campanile dans les années 1970 et récemment, en 2011, Renzo Piano travailla au monastère des clarisses, à la porterie et au paysage.
Face à l’œuvre de Le Corbusier, Renzo Piano a dû retravailler la lumière
Au départ, les sœurs Clarisses de Besançon ont vendu leur monastère pour vivre une nouvelle vie communautaire et spirituelle. Elles ont fondé finalement une fraternité internationale au pied de la chapelle de Ronchamp. Cette dernière ainsi que les terrains appartiennent à l’association Œuvre de Notre-Dame-du-Haut, créée en 1799 par différentes familles.
L’idée était d’avoir une colline habitée. « Nous n’avions pas l’obligation de passer par un concours et nous voulions quelqu’un de relativement indiscutable en architecture. J’ai découvert Renzo Piano lors de mes études », précise le conférencier qui fut à la fois administrateur du site de Notre-Dame-du-Haut et maître d’ouvrage. On écrit à Piano mais il ne répond pas puis on passe par l’intermédiaire d’un autre architecte et finalement un rendez-vous est fixé pour janvier 2006. « Face à l’œuvre de Le Corbusier, Renzo Piano a dû retravailler la lumière pour s’adapter à cette œuvre. Ce qui compte pour le Corbusier, c’est la force plastique, le poids, la masse. Pour Renzo Piano, génois, c’est la mer, la clarté, la transparence, la lumière ». Ils sont donc très opposés dans leur conception de départ a priori. « Entre l’expression d’une commande et la lente maturation du projet, un processus complexe s’instaure où se rencontrent une maîtrise d’ouvrage et une maîtrise d’œuvre. Ainsi l’œuvre se construit », ajoute le conférencier.
Ce ne fut pas sans anicroches. « En 2008, il y eut une polémique à Chaillot et on a eu peur que Piano abandonne le projet de Ronchamp. Le préfet nous a beaucoup soutenus et Paul Vincent a motivé les entreprises », mentionne-t-il. Le chantier a vraiment commencé en octobre 2009 et les sœurs sont arrivées un mois après si bien que pendant deux ans, elles ont vécu au milieu des visiteurs et des travaux. Jean-Jacques Virot explique le chantier : « on a fait une entaille et on s’est enfilé dessous. On a enlevé toute la terre et construit le monastère puis il a fallu tout recouvrir de terre. On a beaucoup planté de gros arbres et on en a conservé d’autres. On a foré des puits à 90 mètres de profondeur pour avoir la géothermie. Comme nous sommes dans une zone sismique, nous avons mis beaucoup de béton. Deux agences ont œuvré et il leur était difficile de s’entendre. »
Concernant la colline Notre-Dame du Haut à Ronchamp, la rencontre des Clarisses et de l’architecte se décline en beaucoup d’autres : rencontre avec l’œuvre de Le Corbusier, avec les entreprises…
Le grand paysagiste Michel Corajoud, auteur du miroir d’eau à Bordeaux, élabora le paysage du site. Pour lui, il devait y avoir une continuité d’intentions nécessaires entre les bâtiments et les espaces extérieurs. En septembre 2011, eut lieu l’inauguration mais un an avant rien n’émergeait encore ! Renzo Piano commença le projet par les chambres des sœurs et celle de la prieure, Sœur Brigitte. Les façades du couvent des sœurs sont complètement vitrées pour que la lumière rentre à plein mais on ne voit pas à l’intérieur aussi, on n’a pas le sentiment de les déranger. Béton et couleur orangée dominent. Du mobilier de Vitra (chaises et tables) donne une harmonie à l’ensemble. Piano eut aussi le souci de ce qu’elles allaient accrocher aux murs. Il leur a agrandi pour cela de nombreux détails d’œuvres de Giotto.
Le conférencier conclut : « Ce fut une œuvre participative. On a réussi à réaliser une demande de construction sans urbaniser, tout en préservant la dimension domestique (on est chez les Clarisses) et en évitant que ce soit un lieu culturel. » Pari hautement relevé, il reste maintenant à l’association à rentrer dans ses frais après ce chantier titanesque de 12 millions d’euros qui donne à cette colline habitée une aura particulière et indiscutable. Un site magnifique à redécouvrir.
L.L.
Article paru dans les D.N.A. du 10/12/2015.