Les combats de l’artiste face à la guerre

Fait exceptionnel, deux conférenciers, venus de Lille ont pris la parole tour à tour pour introduire cette première conférence de la 9e saison d’arts et cloître, avec pour intitulé « l’art en guerre : de l’artiste témoin à l’artiste visionnaire. »guernica_arts_et_cloitre

 

Commémoration de la guerre de 1914/1918 oblige, il était difficile de passer à côté mais le point de vue choisi, a été celui de l’artiste de 1910 à 1950. Comment celui-ci s’est-il positionné dans ces différents conflits ? A-t-il été témoin ou visionnaire ou encore consolateur ? Valérie Buisine, assistante doctorante en théologie à l’université catholique de Lille et Jean-Paul Deremble, maître de conférences à l’Université de Lille III ont abordé l’œuvre de cinq artistes (Otto Dix, Georges Desvallières, Rouault, Picasso et Chagall) successivement pour tenter d’y répondre et ont su brillamment et finement analyser celles-ci.

«Je ne voulais plus rien savoir de la guerre, je voulais la paix ; l’art était mon exil»

Pour Otto Dix, l’artiste doit se contenter d’être témoin et pour cela, son départ au front comme sous-officier pour pouvoir en rendre compte, s’inscrit dans un contexte de nationalisme héroïque mais bien vite cette guerre va se révéler être une boucherie. L’écart est immense entre l’ambiance euphorique de l’avant-guerre et la réalité de celle-ci, toutefois, il ne veut rien dissimuler de cette horreur. Il décrit la guerre comme « quelque chose de bestial, la faim, les poux, tous ces bruits déments… »
« Otto Dix nous montre dans sa peinture en face à face la mauvaise conscience d’une société à travers les traumatismes de la guerre (gueules cassées) comme si l’art était le dernier bastion pour saisir la vérité », analyse Valérie Buisine. Une certaine ironie permet de dénoncer la douleur de ces soldats. Otto Dix disait : « Je ne voulais plus rien savoir de la guerre, je voulais la paix ; l’art était mon exil ».
Georges Desvallières, quant à lui, se retrouve au front des Vosges à plus de 50 ans et deux de ses quatre enfants y sont envoyés aussi, l’un deux y mourra. Formé à l’école de Gustave Moreau, il peint le corps humain dans toute sa puissance puis essaie de traduire son énergie intérieure et spirituelle avec le thème de l’homme souffrant ou celui du Sacré-cœur qui se profile dès cette période. Il réalise les vitraux de l’ossuaire de Douaumont où un Christ étreint l’homme souffrant. Mais il va souffrir d’un certain discrédit et sera marqué à jamais par cette guerre. Entre 1917 et 1927, Rouault réalise deux séries de gravures du recueil Miserere , publiées en 1947 seulement où il met en exergue l’impuissance des pères, des mères et des enfants face au cauchemar de la guerre. En peu de mots, il en appelle à la conscience et dénonce l’absurdité de cette guerre de façon pacifique. Rouault aussi peindra comme une obsession l’homme fragile qui accompagne le soldat jusqu’à la mort en parallèle de l’agonie du Christ.

Des dégénérés que l’on va tenter d’éradiquer

Entre les deux guerres, l’enjeu est bien pour les artistes de peindre la beauté, que ce soit à travers l’art officiel ou l’art éprouvé par les tragédies humaines. Que doit montrer l’art ? L’art nazi va exalter l’image d’un homme triomphant au détriment de toutes autres formes d’expression, considérées comme dégénérées que l’on va tenter d’éradiquer, provoquant la dispersion des artistes (Kandinsky, Klee…) On pense ainsi à l’œuvre de Picasso, Guernica (3m50 x 7m80) de 1937 tout en noir, gris et blanc où culmine la déconstruction, processus commencé par l’artiste très en amont avec des crucifixions. « Au-delà des corps désarticulés et déchiquetés, une ampoule au centre fait tout culminer dans cette lumière comme une ouverture, une espérance », indique Jean-Paul Deremble. Picasso a traité ce sujet également dans la chapelle de Vallauris consacrée à la guerre et à la paix.
Pour Chagall, le but de l’art est le dialogue entre christianisme et judaïsme, il cherche à éveiller les consciences au-delà des horreurs de la guerre en habillant le Christ en juif. Pour lui, l’homme est capable d’aimer, seule couleur de l’art. En somme, l’artiste en général dénonce cette guerre et est aux côtés des souffrants, entre réalité et tragédie humaine, idéal laïc ou idéal chrétien. Il souhaite par-delà l’horreur ou l’absence de beauté délivrer un message en vérité. Ainsi, l’œuvre de Maurizio Cattelan, Him , pose question par rapport à l’horreur immense engendrée par Hitler. Mais, l’artiste demeure surtout le témoin d’un monde nouveau qui interroge et surprend.
L.L.

Article paru dans les D.N.A. du 25/10/21014.