Pour la 7è et dernière conférence d’Arts et cloître qui clôture ainsi la 13e saison, l’association a élevé les regards vers les absides. Symbole mystérieux au zénith de la foi et des arts.
Le caveau de la Chartreuse de Molsheim est plein pour accueillir la dernière conférence dédiée au mystère des absides. Comme il sied, c’est une spécialiste, Sylvie Bethmont, enseignante en histoire de l’art à l’École cathédrale de Paris du Collège des Bernardins, qui a conduit l’assistance de l’obscurité à la lumière. « L’abside est l’extrémité arrondie d’une église, derrière le chœur. Il invite à s’avancer et dépasser la nef. Elle est le point où tout converge et fait voir l’invisible », lance-t-elle au public attentif. Véritable écrin de la liturgie, cette forme architecturale est apparue en Syrie au IIe siècle.
Une simple niche qui abrite le baptistère
« Tout commence dans la domus ecclesiae de Doura-Europos, non loin de sur l’Euphrate sur la route de Palmyre », situe la conférencière. Une simple niche qui abrite le baptistère dont les photos prises lors des fouilles de 1914 ont été mises en ligne sur le site artgallery.yale.edu. Une disposition identique aux synagogues de l’époque et autour quelques représentations.
Mais en filigrane, va se poser la question de la représentation de Dieu. « Dans sa lettre aux Romains (1,23), Saint Paul met en garde contre les idoles », rappelle Sylvie Bethmont. Entre la foi aveugle et le tangible, quelques aménagements vont se trouver : comme cette « main » symbole la présence divine, hérité du rite juif. Vers 200, le Père de l’Église, Clément d’Alexandrie, décrit les images christiques : un poisson, une colombe, une nef, la vigne et l’image du « bon Pasteur ».
Entretenant le fort rapport entre le passé et le présent, l’enseignante en Histoire de l’Art décrypte les multiples chaînons symboliques qui lient l’existence terrestre à l’Au-delà. Détour par la Via Urbana de Rome : « Dans la basilique Sainte Pudentienne, la mosaïque présente dans l’abside — la plus ancienne conservée — met la liturgie au pied du réel », note la conférencière. Tentant un audacieux et fondé rapprochement avec le principe du pixel informatique, Sylvie Bethmont rappelle la méthode d’élaboration : « une mosaïque est composée de millier de cubes de pâte de verre ajustés. Cette réalisation invite à prendre du recul pour analyser l’ensemble ». Une façon pertinente de mise en perspective du lien permanent entre le réel et le spirituel. À travers les âges, la progression se fait avec l’intelligence de l’époque et le souci d’être le reflet d’une pensée et d’une foi contemporaine. Au XVIe siècle, Le Bernin investit le chœur de la basilique Saint-Pierre de Rome avec l’intention de faire de l’abside « un théâtre sacré », explique l’historienne de l’art, où les références antiques résonnent avec des effets de brouillard et lumineux.
« C’est la symbolique qui elle-même se retrouve bouleversée »
« Au XXe siècle, l’art contemporain entre dans les églises », reprend la conférencière, évoquant la réalisation de ND d’Espérance, église parisienne. Une évolution conceptuelle et épurée ne laissant apparaître qu’une croix stylisée. Un tournant qui inquiéta le ministre de la Culture, André Malraux : « l’art des églises qui ne pousse pas au Christ à y être présent ». « C’est la symbolique qui elle-même se retrouve bouleversée puisqu’il s’agit d’une croix de Gloire célébrant la présence d’un Christ, pourtant absent, invisible », souligne Sylvie Bethmont. Comme un juste retour de l’histoire, cette simplicité renvoi aux absides dépouillées des églises paléochrétiennes, redéfinissant la relation de l’Homme, au temps et à Dieu. « Une nouvelle arche d’Alliance », conclut-elle.
F.M.
Article paru dans les D.N.A. du 06/06/2019