Invité des conférences Arts et cloître, Jérôme Cottin, historien de l’art et professeur de théologie protestante, a su captiver le public avec un thème polémique, celui de la croix, figure du spirituel par excellence vue par les artistes des XXe et XXIe siècles.
« Paradoxalement, ce sujet est l’un des plus traités par l’art du XX e siècle, alors même que l’art n’est plus chrétien. La croix, torture de l’époque, était déjà une provocation en soi avec le Christ crucifié. Enfin, certaines crucifixions sont l’objet de violentes contestations, alors même que leur message se révèle authentiquement biblique », indique Jérôme Cottin en préambule. Il y a lieu de s’interroger sans condamner d’emblée.
Une protestation et un acte de militance
La croix est vue par certains artistes comme une protestation et un acte de militance. Cela a été le cas de Ludwig Gies, qui a rappelé en 1922 avec un crucifix « les souffrances des soldats pendant la Première Guerre mondiale dans les tranchées et a refusé tout compromis avec le pouvoir pour des valeurs de paix et d’attention proches de l’Évangile. »
Il faisait partie des artistes considérés comme dégénérés par Hitler. Georges Grosz a dénoncé en 1927 l’asservissement du soldat en représentant un Christ avec un masque à gaz. Ce fut aussi le cas de Baselitz, avec son Christ la tête en bas.
Les plus grands artistes du XX e siècle se sont approprié le thème de la crucifixion. « C’est le cas de Picasso, athée et communiste qui a réalisé plus d’une dizaine de dessins du visage du Christ dès l’âge de 14 ans jusqu’à sa mort dans le plus grand secret. Il a aussi réalisé une crucifixion en 1930 alors qu’il traversait une grave crise conjugale. » Louis Soutter (1871-1942), Suisse romand, sorti de l’anonymat grâce à Giono, était un dandy vagabond qui a dilapidé la fortune familiale. Il était hanté par les figures bibliques et peignait au doigt. Il fut enfermé dans un asile pendant vingt ans.
Un sujet de méditation
Le Corbusier était subjugué par les formes et l’art de son lointain cousin. Outre Chagall qui a réalisé des crucifixions, Arnulf Rainer, artiste très provocateur autrefois, fut reçu docteur honoris causa à la faculté catholique de Munster.
« Ses œuvres se trouvent aujourd’hui dans de très nombreuses églises en Autriche, alors qu’en France, on ne veut pas exposer ses œuvres religieuses.
Pourquoi ce malaise ? Peut-être est – ce l’occasion pour le christianisme d’y réfléchir et de renouveler son discours ? » interroge-t-il.
La croix est également un sujet de méditation et d’intériorité chez Manessier, avec ses Passions ou les visages de von Jawlensky, qui décline un art sériel en montrant la croix comme principe de vie qui triomphe des souffrances vécues. Enfin, Didier Alquin, en 2002, en l’église Notre-Dame d’Espérance à la Bastille, propose une forme de croix avec une seule partie verticale.
L’horizontale marquée de trois empreintes dorées nécessite la part active du spectateur dans le mystère de la rédemption et de la résurrection issue de cette crucifixion pour trouver son sens. L’œuvre de Valérie Colombel de 2011 intitulée Résurrection transporte le spectateur dans une autre dimension du mystère de la croix, grâce à une matière transparente et impalpable de 7 000 tesselles, alors qu’elle n’est pas croyante.
Mais elle a expérimenté la traversée d’épreuves et la croix l’a fortement inspirée. « Si beaucoup de jeux, de parodies de créations de sens ont lieu autour de la croix et sont loufoques et dérangeants, ils peuvent être lus de deux manières. Soit comme une dénonciation de notre société où la consommation a tout remplacé, soit comme une protestation contre le futile qui a remplacé le fondamental. Dans l’art contemporain, tout n’est pas donné, c’est un art de l’énigme derrière laquelle se trouvent de vraies questions comme le parcours d’une vie », conclut-il. Une invitation à la vigilance et au sens.
L.L.
Article paru dans les DNA du 27 avril 2012.