« Cultiver la lumière et ouvrir l’espace du pardon : le reniement de saint Pierre d’un élève du Caravage » : tel était l’intitulé de la cinquième conférence Arts et cloître, donnée à la Chartreuse par Colette Nys-Mazure, écrivain et poète.
Venue tout exprès de Belgique, Colette Nys-Mazure a toujours beaucoup apprécié l’art et le travail avec des musiciens ou des peintres.
Elle aime « discerner l’invisible dans le visible, car nous vivons beaucoup de l’écume en oubliant la vague », dit-elle.
En empruntant les mots de Le Clezio, elle ajoute : « Être vivant, c’est d’abord savoir regarder, c’est la première jouissance effective de l’être vivant ». Elle est l’auteur d’un petit ouvrage consacré à un tableau de la chartreuse de Douai, pour lequel elle a eu un vrai coup de cœur : Le reniement de saint Pierre d’un émule du Caravage, pensionnaire de Saraceni (*).
Il met en scène deux personnages selon un épisode de l’Évangile : saint Pierre qui vient de renier Jésus par trois fois avant que le coq chante et une jeune servante qui l’a reconnu et vocifère face à son déni. (**)
Dans ce tableau du musée de Douai, sur fond sombre, Pierre, tout ratatiné, est dominé par la servante, à la coiffe blanche et à la robe vermillon, en pleine lumière, qui crie.
« Pierre plus âgé que dans notre imaginaire »
Il est dans la pénombre, peint dans des tons sourds, sauf une partie de son crâne, de sa ceinture blanche, des plis de sa couverture et d’une de ses mains, allusion à un autre passage de l’Évangile : « Quand tu seras vieux, un autre nouera ta ceinture et t’emmènera là où tu ne voulais pas aller (***) ».
Colette Nys-Mazure est entrée dans le tableau et s’en est laissé imprégner « Pierre est plus âgé que dans notre imaginaire, c’est le parti pris du peintre. L’inspiration du peintre est-elle le fruit d’une longue observation ou d’une expérience fondatrice ? […] Le reniement est un fait violent, grave, mais ne sommes-nous pas tous les auteurs de mille petits reniements au quotidien ? », interroge-t-elle.
Elle met en exergue avec un texte de Marie Noël, le fait que dans nos vies, « nous sommes souvent déçus ou décevants pour les autres. Et que par conséquent, nous traînons de nombreux remords. Nous n’aimons pas assez ou ne sommes pas aimés comme nous le voudrions. Et nous sommes tantôt à gauche, comme Pierre, ou à droite, comme la servante. »
Fascinée par ce dialogue à deux visages et quatre mains, la conférencière nous guide, au-delà du drame, l’espace du pardon. Au centre de ce tableau, les quatre mains jouent un dialogue tout autre que l’apparence des choses. Les mains de Pierre devraient être ridées, mais celle qui va en direction de la servante est déjà rajeunie par ce qui est en train de se passer au fond du cœur de Pierre. Il existe en l’homme cette capacité à croire en l’amour inconditionnel. Pierre va aller au-delà du reniement, vers l’acquiescement à la faute, puis vers le pardon. « Au-delà de nos propres égarements, nous devenons capables de bondir dans l’espace du pardon, une aire pour notre propre croissance spirituelle. Si Judas a couru se pendre, Pierre a cru en la possibilité du pardon et a été cette pierre angulaire de l’Eglise ».
Et pour conclure, elle emprunte ces mots au poète Jules Supervielle : « Encore frissonnant sous la peau des ténèbres, tous les matins, je dois recomposer un homme avec tout ce mélange de mes jours précédents, me voici tout entier, je vais vers la fenêtre… épargne ce que j’ai d’étoilé en dedans ». Une invitation poétique et optimiste à l’unité malgré nos contradictions et une foi en l’homme à déplacer les montagnes.
(*) collection Ekphrasis aux Editions Invenit, 2011,9 € (**)cf. Matthieu 26, 69-75. (***) Jean 21, 18
L.L.
Article paru dans les DNA du 4 mars 2012.