Pour inaugurer le cycle de conférences Arts & cloître, Laurence Levard, sa présidente, a invité Évelyne Frank, théologienne et docteure ès lettres. Elle a proposé une variation sur la thématique « À mon seul désir » à partir d’un choix de représentations présentes en Alsace, dont la tapisserie éponyme.
Dans le caveau du cloître de la Chartreuse de Molsheim, les places sont toutes occupées. En quelques liminaires, la rencontre débute. « Cette année, 14e édition des conférences de l’association Arts & cloître, nous explorons le thème des jardins et ce soir, nous accueillons Évelyne Frank », rappelle Laurence Levard, présidente de l’association Arts & cloître.
« Il y a le mystère du Bien et du Mal »
Au-delà de l’ambition de plonger dans le mystère de la spiritualité en passant par les jardins, Évelyne Frank, conférencière, théologienne et docteure en lettres, invite à faire le détour en cultivant ainsi une approche inattendue. « Les jardins sont un lieu de désir, de création, de ressourcement et de discernement. Bref, un petit espace de paradis et de contemplation », souligne Laurence Levard. C’est par cette passerelle que la conférence a glissé du jardin à sa représentation à travers des tapisseries et d’autres formes. « Pour cela, il faut fermer les portes du présent et ouvrir celles du jardin éternel », pose la conférencière, Évelyne Frank.
Pour commencer la déambulation, premier arrêt au XVe siècle, avec Adam et Ève et Gédéon et le miracle de la Toison , une huile sur bois de Maerten Van Heemskerck. « Elle est intéressante car elle se situe à l’époque où les corps sont célébrés. La scène se passe au Paradis, toutefois, elle transpire un certain ennui », décrypte Évelyne Frank. Finalement, la présence du serpent apparaît comme une visite, une distraction, suggérant l’ambivalence de la connaissance. « Il y a le mystère du Bien et du Mal », note la théologienne. La lecture d’un extrait du K de Dino Buzzati renforce ce sentiment : « Le jardin est le symbole de la félicité perdue, lieu de la vie et de la mort », précise la conférencière.
Glissant avec quelques détours vers d’autres représentations, Évelyne Frank se penche longuement sur le retable colmarien de La Vierge au buisson de roses de Martin Schongauer.
Martin Schongauer, « un artiste aussi réputé que Léonard de Vinci »
« C’est une œuvre maîtresse du XVe par un artiste aussi réputé que Léonard de Vinci », rappelle-t-elle. Tout y fait sens dans ce retable sur bois de 1473: le simple banc dans un jardin, sans trône, renvoie à la Vierge de l’humilité, figure récurrente dans l’iconographie de Schongauer, de même la présence d’une rose blanche symbolise Marie, la « rose parmi les roses ». Dernière œuvre étudiée, la tapisserie de La Dame à la Licorne.
« C’est un ensemble de six tapisseries dédiées aux cinq sens. La dernière À mon seul désir , est l’apothéose des autres », explique Évelyne Frank. Conservée à Paris, le chef-d’œuvre présente une femme dans des habits de velours accompagnée de servantes, entourée d’animaux héraldiques.
« Cela renvoie à l’Eden »
Le jardin apparaît comme un espace clos. « Cela renvoie à l’Eden, un lieu de paix, où l’on a plus peur de soi, ni de l’autre et l’on s’apprivoise tel le Petit Prince et le Renard ou Saint François et le Loup.
Il y a, en chaque jardin, cette capacité à transformer la douleur en floraison. Et nous sommes acteur de cette transformation. Ce qui me semble important, c’est que nous sommes appelés à faire de tous lieux un jardin et de le cultiver. Car il nécessite un grand travail d’habitation pour arriver à dire « Je suis », conclut Evelyne Frank.
F.M.
Article paru dans les D.N.A. du 16/11/2019