Un expert de la couleur et de la restauration

Lors de la dernière conférence sur la couleur, Pascal Pradié, moine bénédictin de l’abbaye Saint-Wandrille, est venu de Haute-Normandie partager son expérience de directeur et conservateur de l’atelier de restauration de tableaux Renascentis.

  

En écoutant le frère Pascal Pradié, on s’aperçoit assez vite qu’on ne s’improvise pas restaurateur comme cela. Il faut tout d’abord posséder de solides connaissances : une bonne technique de dessin, maîtriser les couleurs et le mode de préparation des matériaux, avoir des connaissances en chimie mais aussi en histoire de l’art. Il faut comprendre aussi comment ont évolué les techniques de peinture au fil des siècles et de quoi elles sont composées précisément pour ne pas risquer un accident de restauration. La durée des études est de cinq ans pour se préparer à un concours où il y a peu d’élus. Puis commence la période de formation véritable, au contact de professionnels.

Dès le néolithique, le monde entier est recouvert de peintures

Aujourd’hui, il dirige l’atelier Renascentis de l’abbaye Saint-Wandrille, assisté de trois personnes. Avec talent, il a su dans une première partie de sa conférence retracer la présence des couleurs au fil des siècles, de la préhistoire à nos jours. « Si la couleur est présente naturellement dans les couleurs de l’arc-en-ciel et dans la nature, on s’aperçoit que dès le néolithique, le monde entier est recouvert de peintures en Europe (Lascaux, Chauvet…), en Asie mais aussi en Afrique du Nord, sous forme de terres jaunes ou rouges, de charbon de bois (noir) ou de craies ou os broyés (blanc). Le bleu et le vert sont absents. La civilisation égyptienne découvre la couleur bleue avec la IVe dynastie (lazurite, lapis lazzuli, turquoise, cf tombe de Toutankhamon) ».

La Grèce antique décore des parois et utilise des panneaux sur bois. Quatre couleurs sont présentes comme les quatre éléments : le blanc, le noir, le rouge et le jaune. « Curieusement, les Grecs considéraient le bleu comme un noir. Le monde romain y ajoute le cinabre, un pigment rouge onéreux qui sert à montrer l’ascension sociale. C’est un sulfure de mercure très dangereux. (peintures de la Villa de Livie). Les Romains inventent les terres vertes et bleues (-58 à 29 av JC, cf Maison des Vetti à Pompéi) ; le Moyen-Âge reprendra la palette préhistorique et le cinabre romain ».

Les peintres vont réglementer la pratique

Entre le XIe et le XIVe siècle, la pratique picturale abandonne les monastères pour aller dans les villes ; les peintres vont appartenir à la corporation et réglementer la pratique. Ils peignent sur bois principalement puis enduisent la surface de plusieurs couches de plâtre, tâches dévolues aux apprentis. Deux techniques vont être à l’honneur. « La tempera ou détrempe se compose de jaune d’œuf seulement, avec soit du vinaigre soit du fiel de bœuf. Cette technique oblige à travailler vite car elle sèche rapidement. Le moine Théophile est l’auteur, vers 1122, d’un traité « de diversis artibus » en trois parties où il consigne les modes opératoires et les savoir-faire de diverses techniques artistiques. À cette époque, alchimie et peinture s’interpénètrent ». C’est l’époque des ocres de Roussillon, du Puisay, d’Italie provenant principalement des sous-sols. On trouve de l’or, du bleu outremer, obtenu par séparation de la lazurite, du vermillon et du vert-de-gris, très imprévisible.

« La deuxième technique est celle de la peinture à l’huile, qui n’est pas le privilège de Jan Van Eck puisqu’on la trouve très tôt chez les Italiens (Cosimo Tura par exemple). L’huile permet une plus grande stabilité des pigments et un mélange plus subtil. C’est le cas de la côte de maille des soldats du retable d’Issenheim à base de sulfure d’antimoine qui permet des reflets métalliques.

La peinture sur toile est adoptée dès 1540. Beaucoup de pigments sont disponibles à cette époque et de nombreux tons de vert, notamment chez Titien, sont juxtaposés ; mais bien vite, les peintres vont vouloir peindre la nature et les couleurs manquent ; certains essais de Poussin virent au gris à cause du bleu de smalte », indique le conférencier. Les chimistes vont peu à peu y remédier en créant de nombreux pigments dès le XVIIIe siècle, tant et si bien que les peintres seront presque accablés par le choix des couleurs. En rompant avec le passé, les peintres n’ont plus le savoir-faire et le discernement nécessaire par rapport aux matériaux.

Un vrai travail de bénédictin

Différentes techniques permettent de voir les couches successives d’un tableau : la lumière naturelle rasante (pour les repeints), la fluorescence UV (les liants), la réflectographie infrarouge (le dessin) et bien sûr la radiographie.

Pascal Pradié explique comment il a pu restaurer certains tableaux, dans un état très abîmé grâce aux examens préalables, non sans humour ! Certaines fois, il a fallu beaucoup de persévérance et de savoir-faire. Ainsi a-t-il dû décaper au scalpel un tableau, à raison de dix centimètres en une heure durant trois ans. Un vrai travail de bénédictin.

Les restaurations pour les particuliers sont souvent plus illusionnistes et plus neuves que celles des collectivités ou musées, visant à mettre en valeur les retouches et l’état initial. Certains veulent restaurer un patrimoine avec des vues financières ou sentimentales, ou les deux. Il s’agit de faire preuve aussi de psychologie et de finesse. Le but final de la restauration est de redonner une lecture homogène à l’œuvre, quitte à refaire même des craquelures si nécessaire.

Toutes les restaurations effectuées et réglées à l’atelier Renascentis le sont au profit de l’abbaye Saint-Wandrille, où demeurent trente-sept moines. Un juste retour aux sources puisque les monastères comme celui de la Chartreuse de Molsheim furent longtemps des lieux conservatoires des traditions et du savoir.

L.L.

Article paru dans les DNA du 8 mai 2013