Spirituelles couleurs

Grande affluence à la chartreuse pour la conférence de Jérôme Cottin, historien de l’art et professeur de théologie protestante à l’Université de Strasbourg qui a captivé l’auditoire avec un sujet sur la spiritualité de la couleur dans l’art contemporain.

Force est de constater que les couleurs prédominantes ont changé au fil des siècles. « Ainsi au moyen âge, le rouge et l’or primaient sur les autres (cf. peintures de Duccio). Le bleu et le vert n’existaient presque pas. Le jaune était la couleur de l’infamie et de la trahison alors qu’aujourd’hui, c’est la couleur à la mode ! » détaille Jérôme Cottin. Depuis les nabis et les fauves, la couleur vive est utilisée mais l’expressionnisme, né presque en même temps, en Allemagne vise son pouvoir expressif. « Ainsi, le peintre allemand Emil Nolde utilise des couleurs criardes et rompt avec le code des couleurs. Pour lui, la couleur a une fonction psychologique. Il associe ainsi dans le Christ à Béthanie de 1910, le rose et le rouge, le violet et le bleu. La couleur expérimente l’intensité d’une émotion. La couleur c’est la force, la force c’est la vie, », dit-il. La couleur est présente partout aux débuts de l’art abstrait en Europe, en Allemagne, en Russie, aux Pays-Bas ou encore à Paris. Vassili Kandinsky en est un élément singulier. D’origine russe, la pratique de la couleur l’amène progressivement à épurer les formes. La couleur portée par une forme ne correspond plus à un objet précis. Il est l’auteur du spirituel dans l’art en 1913. Il a aussi un grand intérêt pour l’école du Bauhaus. Orthodoxe, il a une spiritualité très ancrée et déclare que « la couleur offre des possibilités illimitées ; elle servira le divin. La couleur correspond à une nécessité intérieure. Il s’agit de se consacrer d’abord à elle seule. Pour lui, le jaune est terrestre, le bleu céleste, le noir et le blanc sont des absences de couleur, le rouge agit sur l’intériorité, le violet s’éloigne de l’homme. » Ainsi s’exprime Kandinsky. « Lorsqu’on laisse les yeux courir sur une palette couverte de couleurs, un double effet se produit : un effet purement physique, c’est-à-dire l’œil lui-même est charmé par la beauté et par d’autres propriétés de la couleur ou l’œil est excité… ou calmé ou rafraîchi. […] Le deuxième résultat primordial de la contemplation de la couleur provoque une vibration de l’âme ».

« Mondrian vivait de presque rien comme un moine dans sa cellule »

Pour Piet Mondrian, seules les horizontales et les verticales comptent. Ni courbe ni perpendiculaire dans son œuvre. Il utilise le bleu, le rouge, le jaune, le blanc et le noir. Il exprime la couleur par un moyen plastique purement pictural en peinture plane et dans le plan. L’aspect plat fait paraître les choses comme plus intérieures. C’est un strict calviniste, chez lequel il n’y a pas d’images. « Il va vers une ascèse toujours plus grande. Son œuvre est un cheminement intérieur, une quête de la forme pure, du même ordre qu’une révélation d’ordre spirituel. Mondrian vivait de presque rien comme un moine dans sa cellule. » Aux Etats-Unis, Mark Rothko, ne voulait pas qu’on le qualifie de coloriste, il voulait créer une paix méditative. Ses compositions à l’huile se présentent à partir de 1950 comme la juxtaposition de deux rectangles horizontaux de couleur différente se détachant sur un fonds monochrome. Le contour des rectangles n’est pas fini, donnant une impression de flou rappelant le sfumato de Léonard. La touche laissée visible donne une résonance particulière à la couleur, propre à provoquer l’émotion par la contemplation. Moins connues, il est aussi l’auteur de peintures entièrement noires pour la chapelle de Rice Université. Malheureusement, il se suicide en 1970.

Enfin, Klein utilise systématiquement un bleu monochrome sursaturé de pigments. « Son art incarne la matière et l’esprit, le spirituel et l’infini. Pour lui, la vie est fixée par la trace de la vie-même. Il invente le concept du portrait-relief avec celui d’Arman. » Et pourtant le bleu n’est pas une couleur liturgique. Jérôme Cottin fait découvrir le travail d’artistes allemands Adrien Frutiger et Marie-Luise Frey sur le cycle liturgique. Autour du jaune et de l’or (pour les grandes fêtes Noël et Pâques…), du violet (Avent et Carême), du rouge, (passion du Christ ou Pentecôte), du vert pour les temps ordinaires, les artistes peuvent investir un lieu et faire tout changer avec la couleur et la lumière tout en restant dans un code de couleurs traditionnelles. Une voie originale à explorer et réinventer pour faire vivre autrement nos églises !

L.L.

Article paru dans les DNA du 1er mars 2013.