Avantage à la polychromie!

Anne Vuillemard-Jenn, invitée des conférences Arts et cloître, a fait profiter l’auditoire de son expertise en matière de « polychromie de l’architecture et de la sculpture gothique en Europe » à travers moult exemples européens et alsaciens. La conférience a aussi montré comment elle s’est exercée parfois aux dépens de l’architecture ou de la sculpture.


Si la polychromie a aujourd’hui le même succès qu’à l’époque gothique, elle a longtemps été abandonnée.

Pourtant, pour la réalisation de nombreux décors néogothiques du XIX e siècle, la Sainte chapelle a été la référence en matière de polychromie. « Le décor est tellement surabondant qu’on croit être ravi au paradis ». Des motifs ascendants sur les supports, de la peinture sur les écoinçons et des médaillons émaillés remplissent tout l’espace libre jusqu’aux vitraux.

Ce dégoût de la couleur a provoqué des dé-badigeonnages

Mais, aux lendemains de la seconde guerre mondiale, le travail sur les clichés en noir et blanc et l’influence de l’architecture internationale ont éloigné le chercheur de la couleur. À tel point que le rejet de la couleur est unanime alors que son usage était courant au XIX e siècle comme dans les temples grecs. Ce dégoût de la couleur appelée « horrible vérité » a provoqué des dé-badigeonnages d’édifices.

En 1989, un colloque des Monuments Historiques a d’ailleurs pris pour thème le décapage des monuments. En 1920, on envisage de déclasser l’église St Pierre le jeune de Strasbourg à cause de la polychromie (portail d’Erwin). Aujourd’hui, on restaure cette polychromie avec un peu trop d’entrain.

C’est le cas semble-t-il à la cathédrale de Laval. Anne Vuillemard-Jenn a montré à travers de très nombreux exemples en Europe (France, Suisse, Italie, Espagne, Pays-Bas, Autriche…) mais aussi au-delà en Pologne, comment de faux joints peints donnent l’illusion d’un mur ou d’un matériau comme le grès, ou encore amènent plus de luminosité à l’intérieur d’une église.

Si les faux appareils se retrouvent dans l’art roman, l’art gothique en décuple encore les possibilités de décoration par l’élévation, en créant des triforiums peints qui donnent l’illusion de l’architecture (Chartres) ou l’apparence d’un vitrail.

À Saint Martin d’Angers, certaines moulures sont peintes pour donner l’impression d’être vues de biais. La polychromie sert-elle vraiment l’architecture? Comment un architecte pouvait-il accepter que l’on modifie ainsi son projet initial?

Pour Viollet-le-Duc : « Mentir sur la structure, c’est proposer une manière indigne ». Le danger de la restauration existe, il disait aussi en étant lucide par rapport à son œuvre d’architecte des Monuments Historiques au XIXe siècle : « Restaurer un édifice peut être le rétablir dans un état qui n’a jamais existé. »

Et que penser de l’usage de la polychromie en sculpture ? À la cathédrale de Lausanne, la polychromie est prévue dès le départ pour achever l’effet d’ensemble. Ainsi, la tête de l’ange du portail a été coupée puis replacée et peinte, ni vue ni connue ! Actuellement, si la cathédrale d’Amiens utilise lors de spectacles une extraordinaire polychromie, elle rappelle combien la cathédrale était un véritable sémaphore dans la ville médiévale, c’était une véritable Jérusalem céleste, brillant de mille feux au milieu d’une ville peu colorée !

L.L.

Article paru dans les DNA du 30 décembre  2012.