À l’image de saint Bruno

Beau succès pour la première conférence Arts et cloître donnée par Jean-Jacques Danel, franciscain et historien de l’art sur les vingt-deux tableaux d’Eustache Lesueur consacrés à la vie de saint Bruno, fondateur des chartreux.

Jean-Jacques Danel avertit d’emblée que bien des mystères demeurent concernant « saint Bruno (v 1030- 1101) et Lesueur, deux personnages discrets. Et que dire des chartreux, habitués au silence ! »

« Eustache Lesueur (1616-1655) a des habitudes calmes et de piété. Fils d’un tourneur sur bois, il a très peu quitté la région parisienne. Il entre à l’atelier de Simon Vouet où il rencontre la plupart des artistes qui vont compter. Lesueur s’inspirera aussi beaucoup de Raphaël, à tel point qu’on l’appellera le Raphaël français », raconte Jean-Jacques Danel.

Son style se caractérise par une grande élégance

Lesueur se spécialise dans la peinture religieuse à la suite de Vouet. Son style se caractérise par une grande élégance, de l’équilibre et de la grâce qu’on prête à l’Antiquité d’où le terme d’« atticisme parisien » à son propos. « Mais ce cycle de vingt-deux tableaux pour les chartreux n’est pas son œuvre majeure et Lesueur arrive à la fin de toute une série de cycles sur saint Bruno réalisés pour des chartreuses en France, en Espagne et en Angleterre, connu par la gravure ».

La chartreuse de Paris dont il ne reste plus rien se trouvait à l’emplacement actuel du jardin du Luxembourg à Vauvert, d’où l’expression « au diable Vauvert » marquant la distance de cette chartreuse par rapport à Paris. La commande fut réalisée pour le petit cloître des chartreux destiné aux visiteurs de la chartreuse entre 1645 et 1648. Comparativement à d’autres cycles sur saint Bruno, Jean-Jacques Danel montre que « le sujet n’est pas traité de la même façon et que Lesueur, dans une perspective tout intérieure, modifie peu à peu le visage de Bruno au fil du cycle jusqu’à le rendre semblable à celui du Christ. C’est le point de vue choisi par le peintre ».

Il s’est inspiré à la fois de la littérature apocryphe (Raymond Diocrès), et de la vie de saint Bruno pour mieux mettre en valeur la sainteté de vie du fondateur des chartreux (culte autorisé par le Saint-Siège dès 1514) et rejoint en cela le point de vue des chartreux consultés. « Bruno a voulu par son expérience de vie, en arrêtant d’enseigner et en se retirant du monde, trouver le visage de Dieu autrement que par ce que les livres pouvaient lui montrer » explique encore Jean-Jacques Danel en mentionnant une prière attribuée à saint Bruno. « Lesueur insiste aussi sur l’ornementation des vêtements sacerdotaux ; or Bruno n’était pas prêtre. Lesueur a tenté en tout cas d’exprimer le tempérament humain du XVII e siècle de manière moins intellectuelle que Poussin et de façon presque affective » indique le conférencier.

Le concile de Trente insistait sur la sainteté de vie des prêtres et leur fidélité au pape. « A-t-on voulu de cette manière donner des gages aux chartreux ? » Le mystère subsiste…

L.L.

Article paru dans les DNA du 6 novembre 2011.