La beauté intérieure du Greco

Belle performance d’Emmanuel Rondeau qui, par son érudition passionnée et sa simplicité, a su faire redécouvrir l’intériorité et la grande modernité du Greco, lors de la troisième conférence du cycle organisé par Arts et cloître.

Venu de Londres, ancien élève de l’Institut des Arts Sacrés de Paris, Emmanuel Rondeau introduit sa conférence par un extrait d’une lettre d’Armel Guerne (traducteur de Shakespeare) à Dom Claude, moine de la pierre qui vire. « Un poème ne commence à exister que lorsqu’il rentre dans la chaleur d’un cœur et sourdement habite son silence. »

De la même façon, ajoute le conférencier, « les grands peintres vivent par notre regard et Greco en est la démonstration.Il fut longtemps ignoré en Espagne comme ailleurs; les tableaux du peintre au musée du Prado comportaient sur leur cartel un simple numéro d’inventaire.

En 1898, Miguel de Unamuno, dans L’Essence de l’Espagne, n’en fait aucune mention. Quant à Théophile Gautier qui l’a redécouvert, son voyage en Espagne recense deux œuvres du Greco : La Sainte Famille et Le Baptême du Christ où il qualifie l’art du peintre de « doté de peu de raison, de puissance maladive ».

La première exposition eut lieu en 1903 au Prado. Et pourtant ce peintre connut beaucoup de succès à la fin de sa vie de 1576 à 1614 et fut à Tolède le champion d’une peinture monumentale dès son arrivée. Mais qu’avait-il fait auparavant ?

Il voulait repeindre la chapelle Sixtine !

Né en Crète, il peint à la manière byzantine et y reste jusqu’à l’âge de 26 ans puis il vient se former en Italie à Venise auprès des plus grands : Titien, Tintoret, Bassano. En 1570 il est à la cour du cardinal Farnèse à Rome d’où il part en Espagne six ans plus tard. L’une de ses premières œuvres à Tolède est L’Arrestation du Christ au Jardin des oliviers peint de 1577 à 79.

« L’organisation y est puissante et encore très inspirée par l’Italie. Curieusement, le Greco s’inspire de la musculature de certaines œuvres de Michel Ange qu’il n’apprécie pas du tout puisqu’il voudra repeindre la chapelle Sixtine !

De 1586 à 1588 il peint au couvent de Santo Tomé un grand tableau d’autel avec la légende du comte d’Orgaz. Enfin Greco a énormément traité le thème de saint François, à telle enseigne que la seule gravure éditée du vivant du Greco était une gravure du saint ».

Emmanuel Rondeau souligne l’importance du franciscanisme dans le mouvement de la Contre-Réforme, notamment dans la péninsule ibérique, et le rôle moteur qu’il a joué dans le renouveau de la piété populaire avec la vénération de la crèche et le retour à la foi et à une charité plus authentique.

Si saint François fut l’initiateur et l’inventeur de la crèche, Greco saisit à merveille l’esprit de dépouillement du saint ou de certaines nativités ou adoration des bergers. « Gréco traduit l’élan vers le spirituel par l’étirement des silhouettes pour nous mener au cœur de la beauté intérieure. L’influence qu’il a eue sur la peinture moderne (Demoiselles d’Avignon de Picasso) est considérable ; le modernisme de sa touche et la qualité de sa facture nous laissent muets d’admiration ».

L.L.

Article paru dans les DNA du 18 déccembre 2011.