« Vous avez du temps ? Moi pas. Du temps monastique au temps d’aujourd’hui. » Tel était le thème de la conférence donnée pour Arts et Cloître par le frère, Pascal Pradié. Un sujet dont ce moine bénédictin de l’abbaye St Wandrille connaît bien la complexité pour diriger aussi un atelier de restauration d’œuvres d’art.
D’abord un premier constat s’impose : le temps chronologique n’est plus le même aujourd’hui qu’autrefois. Comment est-ce possible ? Eh bien tout simplement, nous dit Pascal Pradié, « la technologie censée nous faire gagner du temps, ne remplit pas son rôle puisque nous en avons de moins en moins. » Si la mesure du temps a évolué à travers les âges ainsi que les objets qui l’ont facilité, la gestion demeure une question difficile. Cela a -t-il toujours été le cas ?
« Mais tout se complique au XIVe siècle… »
Au départ de l’humanité, la première horloge humaine est celle du temps interne : avoir faim, soif, sommeil, être fatigué… Les Sumériens et Babyloniens avaient déjà séparé les heures du jour et de la nuit. Les Égyptiens utilisaient le cadran solaire comme les Romains ensuite, les Grecs un scaphé ou encore une clepsydre (horloge à eau). Et jusqu’au début du Moyen-Age, les journées ont été rythmées par les offices. Il existe même des carillons à eau, des grosses chandelles qui durent 4 heures ou même un calendrier solaire de berger (éclairé par la lune) ou encore des horloges astronomiques comme celle de Strasbourg qui ont pour but de faire étalage des connaissances. On vous passe les détails complexes des calendriers romain (avant 45 av JC), julien (instauré par Jules César, utilisé jusqu’au XVIe siècle) et grégorien (Instauré par Grégoire XIII dès le 15 octobre 1582) pour établir une correction du retard perdu des siècles passés et intégrer les années bissextiles. « Mais tout se complique au XIVe siècle où on bascule vers un mauvais emploi du temps qui n’est plus le temps de Dieu mais de l’homme. Depuis l’homme est lancé dans une course folle et effrénée à la recherche du temps perdu. Pourquoi n’est-on pas à l’aise dans l’ici et le maintenant, à courir après quelque chose qui ne nous rendra pas plus heureux ? Ce qui engendre toutes sortes de tensions accumulées dans notre corps et produit des maux physiques ou psychologiques. Nous sommes agités car nous ne savons plus quoi faire de notre vide intérieur », indique Pascal Pradié.
« Trop d’exigences et des conditions de travail qui se sont détériorées donnent une sensation d’épuisement nerveux ».
« Nous voulons toujours faire de nouvelles expériences dans nos vies multiples de couple, de famille, ou de vie professionnelle sans avoir droit à l’erreur. Trop d’exigences et des conditions de travail qui se sont détériorées donnent une sensation d’épuisement nerveux. Tout ceci nous déconnecte de notre espace intérieur authentique. Le temps se rétrécit et génère angoisses et gros stress. » Comment en sortir ?
Pascal Pradié prône deux actions à la portée de chacun. D’abord, accepter de délaisser les écrans, les agendas pour retrouver des priorités vraies. Ensuite passer de l’action à la contemplation mentalement. Rien de tel pour faire évoluer notre relation au temps. L’homme est à la fois un être immergé dans le temps et un être immergeant du temps (conscience). Ainsi l’homme est le seul animal qui sait qu’il mourra.
« Lorsqu’on dit : je n’ai plus le temps, très souvent il faut comprendre, je n’ai plus d’espace intérieur. Il faut retrouver l’instant présent qui seul compte. Et ne pas grossir comme un effet miroir la tâche à effectuer. Retrouver son bon sens permet de vivre pleinement le présent qui récapitule passé et avenir pour leur conférer sens et valeur. Ainsi que le disait Albert Camus : la plus grande fidélité envers le passé c’est de tout donner au présent, » ajoute Pascal Pradié. Il faut aussi réagir contre l’habitude et entrer dans une nouvelle intériorité et donc une nouvelle jeunesse. » Contempler c’est plonger au cœur du réel, avec une présence à nous-même, aux autres et au monde. Trois conséquences en découleront. D’abord cela permettra de refuser cette fuite éperdue et de retrouver en soi une nouvelle source. Ensuite l’émerveillement de tout et même de petits détails sera à notre portée avec une respiration de pleine conscience. Et enfin nous pourrons offrir un espace à l’autre. Cinq minutes peuvent être capitales dans une existence », mentionne enfin Pascal Pradié. Quelques recettes simples mais éprouvées réussiront à faire « de l’instant présent un pays de plénitude où la vie se déploie dans toute son intensité », conclut-il. A nous de mettre tout cela en œuvre et de pratiquer avec assiduité !
L.L.
Article paru dans les D.N.A. du 03/02/2018