Pour la clôture de l’anniversaire des dix ans, l’association Arts et cloître a invité Denis Coutagne, à venir parler de l’oeuvre abstraite de Kim-en-Joong, artiste et dominicain, d’origine coréenne auquel il a consacré un ouvrage essentiel.
Kim-En-Joong est connu en Alsace pour son vitrail à la collégiale de Thann. Mais son oeuvre prolifique (vitrail, céramique, peinture) méritait une étude approfondie. C’est chose faîte avec le livre de Denis Coutagne paru en 2015. L’oeuvre abstraite de Kim en Joong est complexe à comprendre dans son ensemble comme l’indique Denis Coutagne. Il faut d’abord tenir compte de son parcours de vie et de sa personnalité.
Né en Corée du Sud en 1940 pendant l’occupation japonaise, Kim En Joong connaîtra la guerre des deux Corée, le communisme et les privations. Il est élevé au sein d’une fratrie de huit enfants dans la tradition taoïste.
« J’aime de plus en plus les oeuvres d’art qui me donnent le sens du silence »
En 1956, la rencontre décisive avec un professeur de calligraphie l’oriente vers les arts graphiques. Il entre à l’école des Beaux-Arts de Séoul et suit des cours de français à la mission étrangère. Très vite, il fait le choix d’étudier la peinture occidentale, et s’intéresse à l’impressionnisme, au cubisme et à l’art abstrait. Durant ces années, alors qu’il peint sans relâche pour subvenir à ses besoins, il devient professeur de dessin au séminaire catholique de Séoul. Il découvre la religion catholique, la liturgie, la paix et le silence de l’église paroissiale de Hai Wha. Kim En Joong demande et reçoit le baptême en 1967.
Puis Kim réalise son rêve : étudier en Suisse l’histoire de l’art, puis la théologie et la métaphysique. Sa rencontre avec les dominicains le conforte dans sa vocation et le 4 août 1970, Kim En Joong revêt pour la première fois l’habit blanc des Frères Prêcheurs. Son ordination sacerdotale aura lieu quatre ans après. Il sera assigné au couvent de l’Annonciation à Paris, qui deviendra son lieu de vie communautaire et d’artiste. Denis Coutagne, indique avec de très nombreuses oeuvres à l’appui les influences qui se sont exercées sur l’oeuvre du Père Kim : Monet, Pollock, Mondrian, Malévitch, Kandinsky, Delaunay, Sam Francis, Rothko, Matisse… et pour les vitraux : Chagall, Bissière, Manessier, Gerain, Soulages, Léger et le Père Couturier !
Pour beaucoup dont le cardinal Barbarin, Kim serait presque le fils spirituel du Père Patfoort. « Ai-je déjà vu une amitié aussi fervente que celle qui a lié le Père Kim à son vénérable aîné le père Patfoort ? L’artiste dont l’oeuvre est jaillissement de lumière et de couleur et l’éminent professeur de théologie cherchant la Vérité pour la contempler ? » Dans une lettre au Père Patfoort, théologien dominicain dont il a été très proche (il l’a accompagné jusqu’au bout), Kim en Joong écrit ceci : « j’aime de plus en plus les oeuvres d’art qui me donnent le sens du silence et une intensité sereine comme rosée. » Kim écrivait aussi ceci à propos du Père Patfoort : « les liens qui nous unissent sont sans aucun doute ceux de dominicain : une vie de contemplation qui n’a ni commencement ni fin. »
« La plus belle cathédrale du monde »
Denis Coutagne rencontre Kim en 2011 car le peintre veut découvrir Cézanne et notamment les carrières de Bibemus qui l’ont tant inspiré. Le conférencier souligne la grande proximité de l’oeuvre de Kim avec la nature comme Cézanne. « Il réalise de grands formats posés au sol. Il travaille comme un lutteur puis les passe au four. Les lignes sont faîtes très vite et les mouvements ascendants. Kim en Joong s’inscrit dans une tradition coréenne avec la calligraphie. » Mais cela ne l’empêche pas de puiser à la tradition de l’Annonciation qui fonde l’image de la peinture occidentale.
Le conférencier souligne la forte inspiration de Kim auprès de Fra Angelico, frère et peintre qui était déjà l’auteur de peinture abstraite dans la prédelle, ne pouvant autrement traduire ce mystère. Une découverte remarquable que Kim reprend en disant : « je vais peindre l’émotion dans l’âme de la Vierge. »
Il réalise aussi de très nombreux vitraux. « Mon ambition est d’exprimer toute la lumière que j’ai reçue de la cathédrale (de Chartres). Je signale qu’elle est pour moi la plus belle cathédrale du monde ; on s’y sent accueilli et je voudrais que mes vitraux soient le signe de cet accueil. » De cette lumière vient désormais la couleur qu’il introduit dans ses oeuvres. « Il donne une leçon de colorisme qui nécessite une grande dextérité. La peinture de Kim n’est pas de tout repos. Il a une créativité phénoménale, on ne s’y ennuie jamais. On y trouve des élans, des lignes noires, noueuses, tortueuses comme notre humanité mais elle ouvre à une lumière qui vient d’ailleurs et nous est donnée, » conclut Denis Coutagne. Une oeuvre singulière à comprendre du dedans grâce à un conférencier hors pair.
L.L.
* Conservateur honoraire du patrimoine et président de la Société Cézanne
Article paru dans les D.N.A. du 23/06/2017