La pierre et le cœur

Le dialogue passionné et tumultueux de Rodin et Camille Claudel était au programme de la première conférence de la dixième saison d’Arts et cloître.

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Dans un caveau archicomble, Antoinette Le Normand-Romain, ancienne conservatrice en chef du musée Rodin, conservatrice nationale du patrimoine et actuellement directrice générale de l’Institut national d’histoire de l’art à Paris, a donné une remarquable conférence sur ces deux artistes.
Cette dixième saison a pour thème le mot « rencontre », qui signifie au XIIIe siècle coups de dés et combat. La rencontre six siècles plus tard entre Rodin et Camille Claudel avait pourtant bien commencé. Leurs œuvres en sont le reflet.

« Un jeune sculpteur, peu connu »

Depuis son adolescence, Camille Claudel est passionnée par la sculpture et commence très jeune à travailler la glaise. La jeune femme a 20 ans quand elle devient l’élève de Rodin, qui remplace Boucher à la tête de l’atelier. Non seulement elle est jeune, belle, mais elle est dotée d’un talent rare pour la sculpture. Il fait d’elle son inspiratrice, sa collaboratrice et sa maîtresse. « Au moment où Rodin rencontre Camille, il est un jeune sculpteur, peu connu. C’est bien avant qu’il obtienne la commande des Portes de l’enfer , qui fera sa renommée », situe la conférencière. L’originalité de la conférence a été de mettre en dialogue les œuvres de ces deux artistes et de les examiner à la lumière de leurs sentiments. Les premières œuvres du début de leur rencontre présagent déjà de leur relation tumultueuse.
Ainsi, l’Éternel printemps de Rodin de 1884 emprunte les traits de Camille, tandis que Je suis belle en 1885, toujours de Rodin, représente une femme recroquevillée sur elle-même, portée par l’homme. « Ils ont 24 ans d’écart. La vie de Camille est bouleversée par cette liaison avec Rodin. C’est une vie plus du côté sombre que du côté du bonheur », précise la conférencière.

Des influences réciproques

Camille résiste à Rodin en fuyant en Angleterre mais à son retour, lui fait signer une sorte de contrat en octobre 1886, où il s’engage à ne pas accepter d’autre élève qu’elle-même. Elle a son propre atelier, Rodin aussi, mais elle est souvent dans l’atelier de celui-ci, d’où des influences réciproques. « On peut constater de nombreux allers-retours entre leurs deux œuvres. Lorsque l’on regarde la Jeune fille à la gerbe de Camille Claudel et la Galatée de Rodin, les œuvres sont très proches, mais il est trop simple de dire que Rodin a copié l’œuvre de Camille », fait remarquer Antoinette Le Normand-Romain.
Rodin s’installe quelque temps à l’Islette, aux alentours de Tours, pour réaliser la commande d’une sculpture de Balzac. Camille l’accompagne et y réalise la Petite châtelaine (traitement magnifique de la chevelure), Rodin (remarquable sur le plan artistique et psychologique) et la Valse qui sera exposée au Salon et conclut la période heureuse de Camille Claudel.

Des sculptures inédites

Rodin a une compagne, Rose Beuret, dont il aura un enfant. En 1898, après presque 15 ans d’attente et plusieurs séparations, Camille comprend qu’il ne l’épousera jamais. Après cette période, elle rompt avec lui, préfère s’éloigner du centre de Paris et prend un atelier avenue de la Bourdonnais. Elle sombrera peu à peu dans la folie. Et lui un temps dans la dépression. Elle réalise des sculptures inédites comme Les Causeuses ou La Vague, qui montre son éloignement par rapport à Rodin.

Paranoïa

Lequel se débat avec la commande de la statue de Balzac, refusée par la Société des gens de lettres car le public ne reconnaît pas le romancier. « Un an après la statue de Balzac, elle représente Rodin entre deux femmes dans l’âge mur : Clotho et une plus jeune. Dans une deuxième version, l’homme a clairement fait son choix pour la plus âgée. Rodin est intervenu pour éviter que l’État ne commandite ce groupe, car son histoire personnelle y est dépeinte. Il fera le nécessaire aussi pour que Camille n’ait pas de reconnaissance officielle, tout en étant obsédée par celle-ci dans son œuvre », ajoute-t-elle. Camille réalise Vertumne et Pomone en 1905, période où elle commence à sombrer dans la paranoïa et où elle revient aux sujets de sa jeunesse. La Niobide blessée de 1906 sera la seule œuvre de Camille acquise par l’État. Le 10 mars 1913, elle est internée par sa mère et son frère Paul dans l’asile de Ville Evrard, à Neuilly-sur-Marne.
Elle a 48 ans, elle ne reverra plus son atelier et meurt 30 ans après, à côté d’Avignon, dans un autre hospice. La première exposition des œuvres de Camille aura lieu seulement en 1951. Une œuvre forte, symboliste et sensible, indissociable de sa vie, qui devrait trouver place au musée Camille Claudel, à Nogent-sur-Seine, au printemps 2016.

L.L.

Article paru dans les D.N.A. du 12/11/2015.