Denis, « peintre de l’éternel »

Arts et cloître recevait un franciscain et historien de l’art, dernièrement. Sa conférence portait sur Maurice Denis, un « grand » artiste méconnu, qui se voulait « peintre de l’éternel ».

 

Jean-Jacques Danel, franciscain et historien de l’art, venu de Lille, a su captiver son public, brosser un portrait précis de Maurice Denis, peintre aux multiples facettes, théoricien de l’art nabi, décorateur, fondateur des ateliers d’art sacré (*). Il a su rendre compte de l’usage particulier qu’il faisait de la couleur à travers une conférence intitulée « Entre tradition et modernité, Maurice Denis 1870-1943) : à la recherche d’une voie nouvelle ».

« Il faut que je sois peintre chrétien »

À 13 ans, Maurice Denis a une idée précise de sa vocation : « Il faut que je sois peintre, peintre chrétien. Je sens qu’il le faut. » C’est un lycéen, assez doué pour l’art et la littérature au point qu’il entre à l’école des Beaux-arts à 18 ans. Il y rencontre Paul Sérusier, qui a séjourné à Pont-Aven auprès de Gauguin, à l’automne 1888. Sérusier est l’auteur d’un fameux tableau : le Talisman. Désormais, le rôle de la peinture est tout autre et va au-delà de la simple représentativité. D’où le nom de « nabis », qui signifie prophètes d’un art nouveau en hébreu. Ils ne veulent plus imiter la nature et recherchent d’abord « une démarche intérieure » pour la traduire.

Ce petit groupe de peintres est situé dans le quartier du Montparnasse. Couleurs vives en aplats, refus de la perspective, influence de l’estampe japonaise, cloisonnement des motifs et arabesques en sont les principales caractéristiques. Si Denis copie beaucoup les anciens, il regarde aussi ce que font les autres autour de lui. Outre Gauguin et son œuvre, il est marqué par la peinture de Puvis de Chavannes qui essaie de trouver une autre inspiration pour l’art chrétien.

Denis, lui, fonde la théorie des nabis sur la peinture. Ainsi, il faut « se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées », écrit-il en 1890 dans Art et Critique. Dans la peinture de Denis, se trouvent aussi beaucoup de couleurs pâles, du blanc, du rose. Les couleurs doivent aussi suggérer une expérience de l’ordre du spirituel.

Ainsi en est-il aussi dans un registre différent, de la quête qui transparaît dans les sept panneaux de la légende de saint Hubert réalisée pour le baron Cochin. Pour le peintre, l’arabesque et les touches de couleur, lui paraissent suffire à l’abstraction d’un tableau. Les arbres ont une grande importance dans sa peinture. Il rencontre sa future femme dès l’école des Beaux-arts : Marthe. Laquelle sera sa muse et son grand amour. Il ne modèle plus les chairs, mais adopte un parti pris très décoratif. Serge Chouchkine, collectionneur russe réputé, achète en même temps que des Matisse ou Picasso, une visitation de Denis aux motifs de treille avec fleurs et fruits, allusion à la fécondité de toute vie. « Dans sa vie privée, comme dans son métier de peintre, Denis suggère d’accueillir ce que Dieu donne, ce que la vie donne », indique le conférencier. En 1909, il fonde l’Académie Ranson où il enseignera pendant près de dix ans. Il participe à la décoration de prestigieux lieux parisiens comme le théâtre national de Chaillot ou le Petit-Palais.

Peintre de l’éternel

Il décore la coupole du théâtre des Champs-Élysées. Il reçoit sa première grande commande pour l’église du Vésinet. Il réalise aussi le programme iconographique de nombreuses églises parmi lesquelles celle du Raincy, première église en béton.

Maurice Denis meurt en 1943 renversé par un camion. Après la Première Guerre mondiale, son œuvre a fait l’objet de nombreuses attentions et rétrospectives.

Pas épargné par la vie, le peintre écrit à la fin de son existence : « Mes angoisses, mes déceptions, la mort les abolira… Je suis celui qui veut être le peintre de l’éternel. »

(*) Avec Georges Desvallières, le 5 novembre 1919

L.L.

Article paru dans les DNA du 21 février 2013.