L’œuvre fabuleuse et liturgique d’un rêveur

Bernard Berthod, conservateur du musée religieux de Fourvière à Lyon, était l’invité d’Arts et cloître. Il a su montrer l’étendue du talent du célèbre orfèvre et sculpteur contemporain, Goudji, sa créativité et sa force intérieure.

Bernard Berthod est un homme de culture aux multiples facettes. Après avoir été médecin, il est à la fois historien, écrivain et conservateur du musée religieux de Fourvière où il programme des expositions variées.

Auteur de nombreux ouvrages, il a réalisé un dictionnaire des arts liturgiques, en collaboration avec Elisabeth Hardouin-Fugier et Gaël Favier. Il a reçu le prix du chanoine Delpeuch, sous l’égide de l’Institut de France, pour l’ensemble de son œuvre et de son action en faveur du patrimoine religieux en 2007.

«Élever l’âme »

Il connaît Goudji depuis plus de vingt ans, a écrit un livre sur lui et son parcours étonnant. Il dit ceci de l’orfèvre : « Il vient d’un autre monde et naît en Géorgie le 6 juillet 1941 à Borjomi. Son nom Goudji est un diminutif affectueux donné par sa mère. Celle-ci est une très bonne pianiste et le père de Goudji est médecin. » Très jeune, il connaît l’Europe à travers les planches de l’exposition universelle de Paris, ramenées par son grand -père. Il dessine très tôt et entre aux Beaux Arts à Tbilissi. « Après la mort de son père, Goudji rentre voir sa mère et voit des dinandiers à cette occasion. Il se dit alors que c’est ce qu’il va faire.

 

En Union soviétique on ne peut qu’être un citoyen lambda, il est impossible d’utiliser le métal », ajoute le conférencier. Dès lors, il va tenter de réaliser son rêve. Il rencontre Catherine Barsac, une Française qui travaille à l’ambassade de France à Moscou. Ils se marient en 1970 et ont un enfant. « Par chance, le beau-père de Goudji a de nombreuses relations en tant qu’auteur lyrique et directeur du théâtre des Champs Elysées. Il est l’ami des Pompidou et ils vont arriver à l’extrader. »

Goudji dans son atelier

En janvier 1974, ils arrivent à Paris. Goudji doit se confronter à une société très différente de celle qu’il a connue. Il dira : « Je suis né à Paris à l’âge de 33 ans. » Il réalise d’abord des bijoux et des objets décoratifs. Ses premières créations en métaux précieux sont réalisées avec des couverts en argent hérités de sa mère. Hubert de Givenchy est très séduit par ses bijoux. Puis il rencontre le galeriste Claude Bernard qui le fera largement connaître.

Un ami de son beau-père, Félicien Marceau, lui commande son épée d’académicien. Il en fera vingt-deux. « Goudji est un rêveur qui voit des animaux fabuleux et des fleurs qu’il veut retranscrire dans le métal. La technique est simple et complexe à la fois. Il utilise une feuille de métal à laquelle il donne forme et incorpore des pierres de tous les jours», indique le conférencier. Il a trois ateliers : un à Paris, un en Vendômois et un sur l’île de Bréhat où il réalise lui-même ses outils (bigornes). Puis grâce à François Mathey, inspecteur des Monuments historiques, il crée une première œuvre liturgique en 1986 pour l’abbaye de l’Epau, une cuve baptismale, inspirée de l’art oriental qui sera utilisée à Notre Dame de Paris par Jean-Paul II.

Fournisseur de l’Église catholique

Il va peu à peu diversifier ses commandes et devenir l’un des fournisseurs de l’Église catholique au gré des rencontres. Il réalise des autels, des croix (suspendues ou processionnelles ou pectorales), des ambons, des encensoirs, évangéliaires, reliquaires (de Padre Pio), ostensoirs (Lourdes), châsses ou d’autres objets pour des cathédrales ou des églises : à Chartres, à Ste-Clotilde de Paris, à Luçon et dans diverses abbayes… « Goudji a la vision qu’il doit créer des objets de beauté à la gloire de Dieu. L’objet doit être beau car il doit élever l’âme. En somme, il a renouvelé le regard des fidèles catholiques avec l’idée que rien n’est trop beau pour Dieu. Il va comprendre l’importance de la culture chrétienne catholique en France et ainsi réconcilier Rome et Byzance dans son œuvre œcuménique », conclut Bernard Berthod.

Reliure de l’évangéliaire du monastère bénédictin d’Abu Gosh (Jérusalem)
© Marc Wittmer

 

Ainsi, Mgr Ravel a une crosse réalisée par Goudji. Cet artiste singulier œuvre dans le silence de son atelier et cultive la beauté et la foi, tout en étant parvenu à atteindre son rêve. Un itinéraire en tous points remarquables.

L.L.

Article paru dans les D.N.A. du 23/04/2017