Deux virtuoses pour un moment magique

Théophile Choquet, comédien et Leyli Karryeva, violoniste ont proposé pour la clôture de la 10e saison d’Arts et Cloître une lecture-concert le Cantique des Cantiques, chant d’amour toujours d’actualité malgré ses plus de 2000 ans d’âge.

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Au départ, ce fut une commande pour l’église protestante de Sarre-Union en décembre 2014 qui les laissa d’abord un peu perplexes puis fit le bonheur de nombreux spectateurs dans plusieurs églises et lieux sacrés de l’Est de la France. Le spectacle est construit de façon très progressive, d’abord le violon puis l’interprétation intégrale du texte.

Ils le donnent à voir, à écouter et à sentir avec une certaine pudeur

Ensuite, violon et voix se mêlent, se tissent et s’entremêlent au fur et à mesure de l’avancée du poème. Théophile Choquet et Leyli Karryeva restituent toute la richesse de ce poème à travers de nombreuses images sans privilégier une interprétation plutôt qu’une autre. Ils le donnent à voir, à écouter et à sentir avec une certaine pudeur en veillant à laisser le mystère de ce texte accessible à tous. Et la magie opère. Drapée dans une robe fourreau bleu et noir, Leyli Karryeva, longiligne, joue avec une dextérité, une fluidité et un talent remarquables. Elle fait corps avec son instrument, son visage très mobile reflète toute l’émotion de l’instant. Le programme de violon solo, très exigeant touche principalement au registre romantique : la danse des ombres d’Ysaye, la méditation de Thaïs de Massenet, une vocalise de Rachmaninov, une sonate pour violon seul de Prokofiev et enfin plusieurs morceaux de Bach… La plainte et la gaieté du violon rencontrent celle du texte. Théophile Choquet fait entendre ce poème de façon très naturelle mais non sans énergie, force, passion et enthousiasme. « Que tu es belle ma bien-aimée, tes yeux sont des colombes… que tu es belle ma fiancée, le miel est sous ta langue, elle est un jardin bien clos, une source scellée… tes deux seins sont les jumeaux d’une gazelle… » Il se déplace sur la scène malgré l’exiguïté du caveau de la chartreuse comparée à certaines églises plus vastes où ils se sont déjà produits. Puis tend la main en invitant la bien -aimée à se lever. Il prend beaucoup de plaisir à dire ce texte non sans malice et humour. Sa diction est excellente. Les références à la nature, aux fruits et au jardin enveloppent le spectateur et le transportent dans cet ailleurs oriental et ce pays de l’amour conduit par l’imaginaire. Ils terminent leur concert dans l’allée centrale avec une apostrophe invitant à célébrer la vie : « mangez, buvez, enivrez-vous mes bien-aimés », renvoyée par la musique du violon de Leyli. L’auditoire est sous le charme et retient son souffle. Certains ont les yeux fermés, d’autres pleurent d’émotion, tous ont eu envie de relire ce texte magnifique venu du fond des âges. Une remarquable performance.

L.L

Article paru dans les D.N.A. du 09/06/2016