L’art, un langage universel au service des églises

Jérôme Cottin, historien de l’art, ancien pasteur et professeur de théologie à l’Université de Strasbourg a donné une conférence tout à fait passionnante pour Arts et cloître. Sujet : l’art comme rencontre entre les confessions et les religions.

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Comment voit-on et utilise-t-on l’art à diverses périodes ? Vaste question tout à fait inédite et intéressante. Pas nécessairement d’abord comme un point de rencontre. Mais plutôt pour mettre en scène la différence religieuse (juive, protestante, catholique). Ainsi, à Ravenne au VIe siècle, la mosaïque permet d’affirmer le triomphe du Christ sur l’hérésie de l’arianisme.

Au portail Sud de la cathédrale de Strasbourg sont représentées l’Eglise triomphante et la synagogue, cette dernière a les yeux bandés et un serpent se termine par une tête maléfique. À la cathédrale de Wezlar, en Hesse, le diable et un juif sont enlacés au portail latéral du XIIIe siècle.

En Saxe à Naumburg, un bas-relief de 1494 représente les juifs chassés de la ville. « Avec la Réforme luthérienne, l’art prend un tournant militant et va être soucieux d’utiliser l’image comme base de la foi évangélique, » indique Jérôme Cottin.

La caricature religieuse…

Lucas Cranach, peintre et graveur, est un fidèle de Luther. « Les premiers à avoir inventé la caricature religieuse sont les protestants luthériens pour ridiculiser le pape », dit le conférencier. Ainsi, un monstre hideux à une mamelle, assis sur une indulgence, met son pied dans le bénitier et figure le pouvoir romain de la papauté. Dans sa gueule ouverte, trois religieux festoient.

« Dans le panneau central du retable de Weimar, Cranach se fait représenter au côté de saint Jean-Baptiste et de Luther. Le sang du Christ giclant de son côté aboutit sur la tête de Cranach ! C’est l’évocation de la transsubstantiation, sujet polémique entre catholiques et protestants ».

Plus étonnant encore, Pierre Le Gros exécuta un ensemble de sculptures à l’église du Gesu à Rome, intitulé « l’Église triomphante » où deux vieillards sont piétinés ; il s’agit de Luther et de Calvin, comme l’atteste une ancienne inscription aujourd’hui disparue.

Rares sont les images œcuméniques. La cuisine des opinions , d’un anonyme hollandais au musée d’Utrecht, montre un évêque, un luthérien et un réformé dînant à la même table. Tout change ensuite au cours du XXe siècle. « Les artistes de la seconde moitié du XXe siècle, qui se disent chrétiens, situent leur christianisme au-delà des confessions. Les débats théologiques ne les intéressent pas. »

Manessier réalisa des vitraux à Brême, pour une église luthérienne entre 1964 et 1979, sur le thème de l’Incarnation, de la Pentecôte et de la Prédication, sans demander aucun honoraire. Thomas Gleb, artiste d’origine juive, réalisa Le signe , une œuvre pour la chapelle du Carmel de Niort, transportée ensuite au musée du Hiéron.

Enfin, Gabriel Nasfeter, artiste d’Ulm, réalisa un signe en douze étapes d’une pyramide de lumière, avec de la toile de parachute, à la demande du pasteur Manfred Richter, en l’an 2000, en douze endroits différents, exprimant un symbolisme universel et l’idée de la résurrection.

« Et quelle sera la part de l’Islam ? Dans sa créativité même, l’art constitue un langage universel plus enclin à servir l’œcuménisme qu’à le combattre. Aujourd’hui, les artistes contemporains inventent un nouveau langage œcuménique sur d’autres bases », conclut le conférencier. Un message plein d’espoir pour notre époque.

L.L.

Article parue dans les D.N.A. du 20/03/2016